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Dowlat-Rao-Sindyah n’était certainement pas complice de cet attentat sans exemple ; il n’avait pu le prévoir, et s’il l’eût prévu, aurait-il pu l’empêcher ? Son beau-père Shirzie-Rao agissait donc de son autorité privée, au gré de ses barbares caprices, sans tenir aucun compte de l’obéissance qu’il devait au mahârâdja. Encore moins la souveraineté du peshwa, chef reconnu de la confédération mahratte, était-elle respectée par ce monstre, qui foulait aux pieds les lois humaines et divines. C’était en effet l’armée de Badji-Rao, commandée par le propre frère de celui-ci, que Shirzie-Rao-Ghatgay avait mitraillée en plein jour, sans autre prétexte que d’assouvir sa vengeance, aux portes mêmes de la capitale ! La terreur fut à son comble dans les murs de cette malheureuse ville de Pounah, traitée avec la dernière barbarie, deux fois déjà, par l’audacieux brigand qui ébranlait les montagnes voisines du bruit de ses canons. La vue du danger qui menaçait de plus près l’empire mahratte, livré à une sanglante anarchie, sembla ranimer les courages engourdis. Une ligue considérable commença à se former d’elle-même entre les principaux chefs de la confédération, prêts à se rallier sous la bannière humiliée de la famille Holkar. Le peshwa songea à faire appel à Ragho-Dji-Bhounslay, râdja des Mahrattes de Nagpour ; il négocia avec Nizam-Ali, vice-roi des états mulsumans du Dekkan, promettant à ces alliés pour prix de leur concours la cession de places fortes ou de territoires depuis longtemps convoités par eux. Enfin il s’adressait dans sa détresse à Tippou, s’efforçant de prévenir l’alliance que Dowlat-Rao-Sindyah voulait conclure de son côté avec le roi de Mysore.

C’était contre Sindyah que se formait cette coalition menaçante ; la haine que l’on portait à son beau-père retombait sur lui. Se sentant isolé tout à coup au milieu de ce mouvement suscité par l’indignation générale, Dowlat-Rao-Sindyah eut recours à un moyen très efficace dans les guerres civiles. Badji-Rao, comme peshwa était l’âme de la ligue projetée ; le jeune mahârâdja chercha à le décourager d’un seul coup en le remettant en face d’un rival redouté : il ouvrit les portes de la citadelle d’Ahmednagar à Nana-Farnéwiz moyennant la somme de 5 millions. Le vieux chancelier trouva immédiatement les 20 lacks de roupies qu’on exigeait de lui ; il les tira des cachettes où son prévoyant égoïsme les tenait enfouis à une époque de détresse pour le trésor public et les coffres des particuliers, qui se trouvaient vides par suite des dilapidations et du pillage.