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était fréquemment violée, en arrive à dire que le gouvernement n’avait que trop de motifs d’exercer son influence sur le choix des administrations municipales[1]. Nous ne saurions partager ce sentiment, et nous pensons que c’est là une grave méprise. Le gouvernement avait assujetti le pouvoir municipal, et puis, quand il vit le mal que causait partout une magistrature artificielle et sans racines dans les populations, il ne trouva d’autre remède que de pousser un peu plus loin encore la soumission de la commune à la puissante centralisation de l’état ; mais, qu’on y réfléchisse bien, si l’élection des magistrats municipaux avait été conservée aux citoyens, aurait-on vu des échevins se perpétuer vingt années dans leurs fonctions pour réclamer ensuite un titre de noblesse et s’affranchir de l’impôt qui pesait sur le reste des habitans ? aurait-on vu les criantes injustices qui se commettaient dans la répartition de l’impôt, ces exemptions pour les uns, ces surtaxes arbitraires pour les autres ? aurait-on vu ces trafics honteux qui avaient livré les affaires des communes à des créanciers avides, quand les officiers municipaux n’en faisaient pas leurs propres affaires ? Un intendant, envoyé à Verdun, écrit à Colbert : « Je ne saurois vous celer le grand désordre que j’ai trouvé dans l’administration des affaires de la ville de Verdun ; il est tel que, s’il continue, avant qu’il soit dix ans, ladite ville, quoique très bien située et dans un bon pays, sera déserte. Les magistrats de ladite ville prétendent l’être à vie, et quoiqu’il y ait procès au conseil entre eux et les autres habitans syndiqués pour raison de cela, néanmoins lesdits magistrats sont en possession et gouvernent les affaires de la ville comme il leur plaît, en vertu des arrêts du conseil qui les maintiennent contre ceux du parlement de Metz[2]. » Un autre lui écrit de Châlons : « Ce n’a été que fuites, et tout cela parce que les officiers de ville, qui du moment qu’ils ont été élus y demeurent toute leur vie, se sont accommodés entre eux des deniers patrimoniaux et d’octroi, et font leurs efforts pour s’accommoder avec les marchands, afin après cela de couvrir une partie de leurs désordres[3]. »

Il est évident que l’éditeur de la Correspondance administrative sous Louis XIV a pris l’effet pour la cause. Dans le document qu’il cite à l’appui de son opinion, il n’a pas pris garde que les habitans d’Amiens se plaignent justement de ce que le choix du roi ne porte pas sur des hommes d’honneur capables de remplir les charges d’où dépend le repos des citoyens, mais sur des gens qui lui sont

  1. Introduction, p. 32.
  2. Lettre du 10 juin 1664, Correspondance administrative, tome Ier, p. 726.
  3. Lettre du 2 septembre 1665, ibidem, p. 759.