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coup sûr quand régnera tranquille et universel le souffle, l’atmosphère de la liberté… On entend bien que cela n’arrivera pas et ne peut arriver dans les pays sous les gouvernemens infortunés qui s’obstinent à proscrire la liberté et la publicité, et qui, préoccupés des dangers qu’elles présentent, préfèrent s’en tenir à la voie bien plus périlleuse de l’absolutisme. Dans de tels pays, il m’est douloureux de le dire pour ceux d’Italie, pour l’un d’eux surtout qui intéresse plus que tout autre l’Italie, l’Europe, la chrétienté civilisée, dans de tels pays le danger des sociétés secrètes devient et deviendra d’autant plus grand que chassées de plus en plus du reste du monde, elles seront réduites à se réfugier là, à y concentrer leurs efforts. Que Dieu sauve Rome et l’Italie[1]. »


Voilà ce que pense ou plutôt ce que sent Balbo en voyant le roi mis au secret, lié, captif. Suivons maintenant Charles-Albert dans cette triste et humiliante existence qu’on lui fait.

Il est facile de conjecturer, d’après ce qui a été révélé sur ce règne étrange, quelles furent les recommandations dernières dont Charles-Félix avait accompagné le legs de sa couronne. Le vieux roi dut lui dire à peu près ceci : « Vous n’êtes pas assez forts, vous et vos anciens amis, pour déclarer la guerre à l’Autriche et pour organiser un régime constitutionnel. Rome s’oppose autant à la liberté que l’Autriche à l’indépendance, et ces deux obstacles s’étant unis, un pacte étant conclu entre eux, vous ne pouvez actuellement en attaquer un de front sans attaquer aussi l’autre, ce qui serait insensé. Pourrez-vous un jour séparer de ce débat la question religieuse, à laquelle vos intérêts et vos devoirs vous défendent de toucher ? C’est votre affaire. Pour le moment, ne vous éloignez point trop de la politique que j’ai suivie, et soyez prudent, ou vous êtes perdu. » Il ne fallait pas songer en effet à entrer en campagne contre deux adversaires dont l’un, posté dès longtemps en vedette, mais inopinément intervenu comme corps d’armée principal, disposait de presque toute la nation officielle, de presque toutes les influences en place. Le parti libéral, qui était faible, désorganisé, divisé, défiant, exclu depuis longtemps des fonctions publiques, n’était pas un auxiliaire suffisant. Le roi, fidèle malgré tout, chercha du secours à l’étranger, et demanda au roi Louis-Philippe s’il pouvait compter, en accordant une constitution, sur l’aide des armes françaises en cas d’agression de la part de l’Autriche mécontente. Le gouvernement de juillet, qui se préparait précisément à l’expédition

  1. Delle Rivoluzioni, c. VI. — Balbo néanmoins avait déjà rendu justice au gouvernement piémontais pour sa bonne volonté à l’égard des recherches historiques, qui ne peuvent être consciencieuses ni complètes si on ne consulte les documens originaux. On lit dans la Vita di Dante, écrite en 1838 : « Quand imitera-t-on à Florence l’exemple donné à Turin de faire imprimer les pièces originales des archives nationales ? Le Piémont, qui était moins favorisé que personne sous ce rapport au temps de Muratori l’est maintenant au plus haut degré, grâce à son roi. »