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qui est plus certain, c’est qu’au XIVe siècle, lorsque la ville de Chieri se donna à la maison de Savoie, une branche des Balbo Bertone passa à Avignon et y commença cette race des Crillon qui donna un ami à Henri IV et un successeur à Bavard. César Balbo, l’illustration moderne de cette maison, naquit, le 21 novembre 1789, d’Henriette Tapparelli d’Azeglio, qui avait épousé au commencement de la même année le comte Prosper Balbo, alors investi par la ville de Turin des premières charges municipales. Frêle enfant d’une mère de seize ans, qu’il perdit avant d’être en âge de la connaître, il fut élevé par son aïeule, la veuve du comte Bogino, ministre de Charles-Emmanuel III, pendant que son père occupait son poste d’ambassadeur auprès de la république française. En 1798, Prosper Balbo, prévoyant la chute de la monarchie sarde, appela auprès de lui ses deux fils, César et Ferdinand ; bientôt en effet il dut prendre avec eux le chemin de l’exil, la chute de son maître ayant marqué le terme de sa mission. En Espagne et en Italie, où il les emmena, il leur enseigna les mathématiques, le latin, et un italien plus pur que le dialecte piémontais. Les voyages et les vicissitudes contribuèrent à mûrir de bonne heure le jugement de ces enfans, tout en nuisant à la solidité de leur première instruction. La politique dont l’air de cette époque était imprégné pénétrait à l’état de sensation dans ces jeunes natures. Ils apprenaient, dit César Balbo dans son autobiographie, à mépriser les Autrichiens, qui perdaient toutes les parties et sauvaient toujours l’enjeu. À Florence, ils allaient souvent chez Alfieri, qui habitait avec la comtesse d’Albany en face de Santa-Trinita, et en dépit des tirades de l’auteur du Misogallo, ils commençaient à aimer la France. En 1802, la famille errante revint à Turin et s’y fixa. Cinq ans plus tard, César suivait pour la première année les cours de la faculté de droit, lorsque Napoléon, passant à Turin à son retour de la campagne de Prusse, interrompit brusquement cette humble carrière. L’empereur connaissait très exactement l’aristocratie italienne, dont sa famille avait jadis fait partie[1], et il cherchait à mêler dans les fonctions publiques la vieille noblesse avec celle qu’il créait. Le jeune Balbo, se trouvant un jour au milieu de la foule assemblée le long de la rue du Pô pour voir passer

  1. Voici à ce sujet un fragment curieux d’une lettre du comte Balbo, écrite en français : « J’ai vu, il y a quelques années, l’extrait des actes existant alors et peut-être encore aujourd’hui aux archives de Florence, et qui prouve qu’un Buonaparte fut expulsé de la ville dans le XIIe ou XIIIe siècle (il ne me souvient plus bien), ob nimiam potentiam, la même raison qui a fait bannir son descendant du monde civilisé. À la suite de cette expulsion, cette famille alla s’établir à San-Miniato, et de là à Chiavari. Jusqu’ici la filiation est prouvée ; elle n’est interrompue, je crois, que pendant une cinquantaine d’années durant lesquelles la famille disparaît de Chiavari et reparaît en Corse, je crois avec les mêmes armes, certainement avec le même nom, et souvent avec les mêmes prénoms, entre autres celui de Napoléon. Lors des premières campagnes du général Buonaparte, il existait encore à San-Miniato un ecclésiastique de ce nom, dernier rejeton d’une branche restée dans cette première station de la famille, où l’on voit plusieurs de leurs tombeaux. Le général républicain fit alors des démarches pour s’en faire reconnaître, et l’ecclésiastique étant mort et ayant laissé son héritage aux pauvres, Buonaparte, alors premier consul, fit un procès pour la succession, qu’il gagna, comme on peut bien le penser. Il fit, dit-on, largement indemniser les pauvres, mais il n’en est pas moins vrai que, chef d’une république française, il tenait à prouver son origine patricienne et étrangère. Devenu empereur, il trouva apparemment son illustration supérieure à cette origine, et l’on n’en parla plus ; je crois même que l’extrait dont j’ai parlé, et que je vis alors, ne fut pas trop bien reçu. »