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avis, il n’y avait que ce froid bel esprit allemand que réchauffait de temps en temps le souffle sympathique de Diderot, qui fût digne de figurer dans ce mélodrame. Les dévots de Jean-Jacques Rousseau, et ils sont nombreux, quoi qu’on écrive et quoi qu’on fasse, ne sauraient pardonner à Grimm tout le mal qu’il a fait au génie malheureux de l’auteur d’Emile et des Confessions. Malgré ses charmantes pages sur Grimm, dont il a cherché à relever le caractère et la moralité, M. Sainte-Beuve ne m’a pas convaincu. Les dévots de Rousseau tiennent compte surtout de quelques belles pensées de Mme Sand et de l’admirable étude de M. Cousin sur le style du grand écrivain qu’ils admirent. Ceux-là sont écoutés parce qu’ils sont de la famille. Toutefois, n’oublions pas que Grimm fut un juge excellent des beautés de l’art que nous aimons ; il comprit le miracle que révélait l’enfance de Mozart et prédit sa grandeur.

Il me fallut aller chercher à Francfort ce que je n’avais pas rencontré à Darmstadt ni à Mannheim, un opéra quelconque de M. Richard Wagner. À mon arrivée dans cette grande et belle ville libre, qui ressemble beaucoup au quartier de la Chaussée-d’Antin, je m’empressai d’aller visiter la maison qui a vu naître Goethe. Chose assez bizarre que le plus grand poète de l’Allemagne soit venu au monde dans un carrefour de marchands, au sein d’une ville de trafiquans qui touche aux frontières de la France, dont elle a subi les invasions successives ! Après la maison de Goethe, j’ai voulu visiter aussi le berceau d’une autre royauté, la maison où a vécu et où est morte la mère de MM. de Rothschild. Je me rappelle qu’il y a quelques années les journaux répandirent la plaisanterie que MM. de Rothschild, à la tête d’une société d’Israélites, avaient acheté du Grand-Turc la ville de Jérusalem avec la permission d’y rebâtir le temple de Salomon. Eh bien ! cette Jérusalem nouvelle,

Qui renaît plus charmante et plus belle,


c’est la ville de Francfort, où les Juifs sont maîtres et seigneurs, et dans laquelle MM. de Rothschild bâtissent une immense synagogue de style oriental, qui doit valoir, ce me semble, le temple du sage Salomon. Savez-vous ce que l’on donnait le soir au théâtre de Francfort ? Don Pasquale, traduit dans la langue du pays ! Cette nouvelle mystification du sort n’abattit pas mon courage. J’allai au théâtre, qui est une fort belle salle à trois rangs de loges, mais mal éclairée comme toutes celles que j’ai pu voir sur les bords du Rhin. À mon grand étonnement, l’exécution du joli opéra de Donizetti, que nous avons entendu chanter à Paris par Mlle Grisi, Lablache, Ronconi et Mario, ne fut pas trop mauvaise ; j’ai remarqué dans le rôle de Norina Mlle Veith, qui possède une fort belle voix de soprano, assez étendue et d’une flexibilité suffisante pour une Allemande qui n’est pas Mme Sontag. Mlle Veith, qui a été attachée au Théâtre-Italien de Paris du temps où M. Hiller dirigeait l’orchestre, ne manque ni d’esprit dans son jeu, ni de verve ; mais le timbre de sa voix est dépourvu de charme. Elle avait intercalé, ce soir-là, dans don Pasquale, un air de bravoure d’un style baroque qui doit être le produit de quelque maître de chapelle allemand. Le reste de la troupe, surtout la basse qui jouait le rôle de don Pasquale, n’était pas non plus à dédaigner. L’orchestre était