Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 17.djvu/456

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terre ; on n’aurait guère trouvé un Anglais se racontant lui-même. C’est encore une nouvelle modification. L’Anglais maintenant ne craint plus de s’analyser, et à ses propres études sur lui-même on peut comparer les études d’autrui. Autrefois l’Anglais portait le self-respect jusqu’à repousser religieusement toute idée d’examen de ses défauts; il s’acceptait franchement comme la plus grande œuvre du Créateur, et se défendait de toute dissection avec une opiniâtreté orientale. Aujourd’hui, je le répète, il s’étudie avec ardeur, et se justifie de l’admiration que lui inspirent ses grandes qualités par la franchise sans bornes qu’il met à reconnaître ce qui lui manque. Il y a peu de livres publiés en Angleterre à l’heure qu’il est qui ne contiennent la confession de quelque péché national, en même temps qu’ils constatent un mérite quelconque du caractère britannique. Or il m’a paru intéressant de contrôler l’un par l’autre deux ouvrages contemporains dont la civilisation anglaise est le sujet, dont le succès a été égal, et dont presque toutes les opinions se rencontrent, bien que l’un soit écrit par un Américain, l’autre par un Anglais.

Si jamais livre essentiellement, exclusivement anglais a été écrit, c’est le livre de M. Reade. Les personnages, le milieu où ils se meuvent, le mobile de leurs actions, le but vers lequel ils tendent, leur manière surtout d’y atteindre, tout cela est anglais, ne saurait être autre chose qu’anglais. Il suffira de quelques lignes pour indiquer le sujet de l’ouvrage. Le développement des caractères, l’étincelle purement britannique, si je puis m’exprimer ainsi, qui jaillit de chacun d’eux au choc des circonstances, seront étudiés plus tard. Voyons d’abord les faits.

Dans le Berkshire, une mauvaise petite ferme de quatre cents acres est tombée entre les mains d’un jeune homme de vingt-cinq ans, George Fielding. Le fermier a un frère, et l’un et l’autre sont orphelins, vivent en commun, et font de mauvaises affaires. George Fielding aime de toutes les forces de son cœur sa cousine, Susanne Merton, la fille de son oncle maternel. Il a pour rival un riche marchand de blé, Meadows. Les difficultés financières des frères Fielding n’ont fait que s’accroître de mois en mois, et quand s’ouvre le roman, on s’apprête d’un côté à faire argent du blé nouveau, pendant que de l’autre William, le frère cadet, se rend à la ville voisine de Narborough pour essayer d’opérer un emprunt. En même temps une tentative est faite auprès de George Fielding, le frère aîné, qu’on veut décider à partir pour l’Australie. Le jeune homme qui conseille à George de prendre ce parti est un certain Frank Winchester, fils cadet d’un comte, qui lui-même va s’embarquer pour les colonies océaniques dans quelques jours. Le fermier commence par refuser; mais dès le second chapitre du livre nous le voyons fléchir devant les circonstances et partir avec Frank Win-