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de ces tentatives incessamment renouvelées avec une persévérance que rien ne rebutait, au milieu de dangers, de misères et de privations que compensait difficilement la richesse des bénéfices. Chaque année, un navire partait, quelquefois plusieurs, construit ordinairement avec les débris des naufrages précédens, formé de bordages que réunissaient à défaut de clous des lanières de cuir, et s’en allait, chétif et disjoint, affronter les périls et les tempêtes d’une mer inconnue : combats avec les indigènes, embûches, massacres, horreurs de la faim, et trop souvent naufrage sur la côte inhospitalière de quelque peuplade barbare, tels sont les sombres et monotones épisodes de ces voyages, qui montrent jusqu’où peut aller la singulière fascination exercée sur l’esprit humain par l’attrait du danger uni à l’appât du gain. Quel que fût du reste le mobile de ces hardis navigateurs, Tchirikof, Drusinin, Soloviof, Synd, et tant d’autres, qui pendant des années entières affrontaient ainsi obscurément la mort, ils occupent dans l’histoire maritime de leur pays une place qui doit sauver leurs noms de l’oubli, car c’est à leurs conquêtes patiemment répétées pendant plus d’un demi-siècle, avant qu’aucun Européen eût pénétré dans ces mers, que la Russie doit ses titres incontestables de propriété sur les régions qu’elle possède aujourd’hui tant en Amérique qu’en Asie. A la fin du siècle dernier seulement, ces tentatives isolées se régularisèrent par la formation de la compagnie russo-américaine et par le monopole dont l’investit l’empereur Paul Ier, monopole dont, au bout de quelque temps, le résultat fut de restreindre la vente des pelleteries à des limites qui arrêtèrent la destruction imminente des diverses espèces d’animaux chassés. Aujourd’hui ce commerce, dont l’importance ne s’élève guère à plus de 4 ou 5 millions de francs, est centralisé dans trois établissemens principaux auxquels vient aboutir le mouvement des postes secondaires. Le dernier créé de ces établissemens, Sitka ou Nouvel-Archangel, sur la côte d’Amérique, est le siège le plus important des opérations de la compagnie; le second est à Kodiak, île voisine de la péninsule d’Alaska; le troisième à Petropavlosk, ou port de Saint-Pierre et Saint-Paul, les deux patrons vénérés dont les noms se retrouvent à chaque page de l’histoire de ce pays, et sous l’invocation desquels étaient placés les deux navires de l’infortuné Behring. Ce dernier point est la résidence habituelle du gouverneur du Kamtchatka. Nous ne parlons pas ici des établissemens de la mer d’Okhotsk, restés en dehors des opérations de 1854.

Voltaire se divertissait fort des quelques arpens de neige dont Français et Anglais se disputaient la possession au Canada. Si son regard avait daigné s’étendre jusqu’aux extrémités de l’Asie, vers la presqu’île désolée du Kamtchatka, il eût sans doute été bien plus étonné d’en voir les habitans défendre pendant quinze ans le sol