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pittoresque, heureusement combinée avec les lignes du fond[1]. Sur un pont qui relie le château à la plaine, d’infiniment petites figures, — souvenir des miniatures florentines, — vont et viennent à pied ou à cheval, tandis qu’au premier plan des plantes et des fleurs dessinées avec une précision exquise rappellent, sous des formes plus irréprochables encore, le goût et la manière de Mantegna.

On le voit, dans le paysage aussi bien que dans les figures, ce qui distingue le tableau d’Apollon et Marsyas des œuvres peintes précédemment par Raphaël, c’est à la fois un sentiment plus personnel quant au fond, et, quant au mode d’exécution, une science plus profonde des ressources pittoresques mises en circulation par les autres maîtres. Ici le progrès est considérable, non-seulement sur le Sposalizio, mais aussi sur le Saint George et le petit Saint Michel conservés l’un et l’autre au Musée du Louvre, sur le Rêve du Chevalier que possède la National Gallery, et cependant l’Apollon doit avoir suivi d’assez près les tableaux que nous venons de mentionner. À quelle époque précise a-t-il été peint ? C’est ce qu’il serait téméraire de prétendre déterminer, bien que, nous l’avons dit, l’Apollon soit évidemment antérieur à la Déposition au tombeau que l’on voit dans la galerie Borghèse. Vasari parle, sans en spécifier les sujets, de deux tableaux faits par Raphaël pendant son second séjour à Florence et donnés par lui à Taddéo Taddei, « tableaux, ajoute l’écrivain, qui participent tout ensemble de l’ancienne manière de Pierre (Pérugin) et de cette autre manière très préférable, comme on le dira plus tard, que Raphaël dut à ses nouvelles études[2]. » Le chef-d’œuvre qui nous occupe est-il l’un de ces deux tableaux ? Il appartiendrait alors à la fin de l’année 1504 ou au commencement de 1505, et le jeune maître l’aurait exécuté à vingt et un ans. Ou bien faut-il conjecturer que l’Apollon a été peint pendant le séjour que Raphaël, après avoir quitté Florence, fit à Urbin, auprès de ceux

  1. Notons en passant une objection qu’on a voulu tirer du caractère des fabriques qui ornent le paysage. Raphaël, a-t-on dit, n’aurait pas commis cet anachronisme de grouper dans un même tableau, des figures de la fable et des monumens appartenant au moyen âge. — À ce compte, et dans l’ordre des sujets religieux, il faudrait supprimer aussi de l’œuvre du maître la Belle Jardinière, la Vierge au Chardonneret, le Massacre des Innocens, vingt autres compositions où l’anachronisme n’est pas moins flagrant entre l’âge de l’architecture et l’époque où vivaient les personnages représentés.
  2. M. Quatremère de Quincy [Histoire de la Vie et des Ouvrages da Raphaël) cité la phrase du biographe arétin, mais non sans en altérer le sens. Suivant la traduction qu’il donne, les deux ouvrages auraient été de caractère différent. « L’un rappelait encore, dit-il, l’école du Pérugin, l’autre annonçait déjà la seconde manière de Raphaël. » Vasari au contraire constate le mélange des deux manières dans l’exécution de chacun des tableaux.