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la matière colorante de l’orseille (lichen roccella). On consacra plusieurs mois à de nombreux travaux préparatoires pour faire avancer sur le précipice une poutre de plus de trente pieds de longueur, munie d’un treuil et d’une grue. Le moine dominicain, la tête couverte d’un casque en fer et le crucifix en main, se fit descendre avec trois autres membres de la société : ils passèrent une nuit entière sur la partie solide du fond du cratère, et s’épuisèrent en vains efforts pour recueillir le prétendu or fondu avec des vases en terre, enfermés dans des bassins en fer. Pour ne pas décourager les actionnaires, ils convinrent de dire, quand on les retira, qu’ils avaient trouvé de grandes richesses, et que l’Enfer de Masaya méritait réellement d’être appelé le Paradis de Masaya.. L’opération fut depuis plusieurs fois renouvelée, jusqu’à ce que le gouverneur de Grenade, la ville voisine, suspectant une fraude ou l’intention de tromper le fisc, défendit qu’on redescendît avec des cordes dans le cratère. Ceci arriva dans l’été de 1538 ; mais en 1551 le doyen du chapitre de Léon, Juan Alvarez, n’en reçut pas moins de Madrid la naïve permission « d’ouvrir le volcan et d’exploiter l’or qui s’y trouvait contenu. » Telle était la crédulité populaire au XVIe siècle ; mais n’a-t-il pas fallu qu’en 1822, à Naples, Monticelli et Covelli prouvassent, par une analyse chimique, que les cendres rejetées le 28 octobre par le Vésuve ne contenaient point d’or ? »

Ce sera toujours une honte pour l’Espagne de n’avoir rien tenté pour l’avancement des sciences pendant la longue période de sa domination dans l’Amérique. Les tristes bruits de cette indifférence se font encore sentir aujourd’hui, et les nombreux états sortis de la décomposition de son vaste empire ne sont connus que par les descriptions imparfaites de quelques voyageurs étrangers. M. de Humboldt exprime le regret que l’Amérique centrale (en comprenant sous ce nom Costa-Rica, Nicaragua, San-Salvador et Guatemala) n’ait pas encore été explorée avec soin. Cette région est, avec Java, la plus volcanique de la terre. Nous avons nous-même rendu compte ici récemment des travaux de M. Junghuhn, qui a comblé une lacune importante en décrivant les volcans javanais[1]. Les îles de la Sonde ne contiennent pas moins de cent vingt volcans, dont cinquante-six ont fait éruption pendant le XIXe siècle ou la dernière moitié du XVIIIe. L’Amérique centrale peut rivaliser sous ce rapport avec les possessions hollandaises : M. de Humboldt y compte vingt-neuf volcans, dont dix-huit ont été actifs, pendant la même période. Il est d’autant plus étonnant qu’on les connaisse encore si mal, que la plupart sont très facilement accessibles, et que très peu d’entre eux dépassent la hauteur de l’Etna et du pic de Ténériffe.

E nous est impossible de suivre M. de Humboldt dans la description des nombreuses chaines volcaniques du globe ; mais quelques résultats principaux méritent d’être rapportés. Veut-on savoir combien il y a en tout de volcans proprement dits sur la terre ? M. de Humboldt en compte jusqu’à quatre cent sept, et dans ce nombre on peut en considérer deux cent vingt-cinq comme actifs, en rangeant dans cette catégorie ceux qui ont fait éruption dans le siècle présent ou la moitié du siècle dernier. Parmi ces deux cent vingt-cinq, bouches ignivomes, il n’y en a que soixante-dix, par conséquent

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1858.