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les opinions que toutes nos connaissances sont pour nous une raison d’adopter, et qui doit convoquer tous les phénomènes de l’univers à déposer ce qu’ils ont à dire pour les convaincre de fausseté. On n’a que l’embarras du choix pour donner des preuves de cette prudence. En argumentant contre la superstition qui attribuait au sang de chèvre la puissance de dissoudre le diamant, il rencontre naturellement sur sa route la conséquence que la médecine en avait tirée : l’idée qu’un tel dissolvant ne pouvait manquer d’être souverain pour guérir de la pierre. Un logicien ordinaire eût probablement sauté de la fausseté des prémisses à celle des conséquences ; mais ce n’est pas Browne qui s’aventurerait de la sorte. Il affirme ce qu’il a vérifié, que le sang de chèvre ne dissout pas le diamant ; quant à l’autre propriété qu’on lui attribue, cela est différent, car, remarque-t-il, « s’il est probable qu’on a supposé au sang de chèvre cette vertu médicale parce qu’on le croyait propre à fondre le diamant, il ne serait pas impossible que le contraire eût eu lieu, et qu’on fût arrivé, parce que le sang de chèvre était excellent contre les pierres de la vessie et parce que nombre de médecins l’avaient recommandé comme dissolvant les plus dures, à lui imputer, par amplification, la puissance de réduire le diamant. »

S’il y a excès, c’est toujours du côté des scrupules. Il passe la moitié de son temps à soulever contre lui-même des objections auxquelles nul ne songerait, à chercher par mer et par terre des faits ou des apparences qui aient l’air d’appuyer ce qu’il attaque, à supposer dubitativement des agens à lui inconnus et auxquels il ne croit pas, mais qui pourraient exister, et qui dans ce cas rendraient possible ce que ses preuves l’obligent à nier. Il semble qu’il trouve plus de satisfaction à imaginer toutes les possibilités imaginables qui défendent de conclure sans réserve qu’à pouvoir dire en façon d’oracle : Cela est, et il n’y a que cela. Ainsi, dans le morceau où il discute si l’or est un cordial, il ne se contente pas de cette prudente réflexion : que, malgré la nature inaltérable de ce métal, et malgré le fait constaté qu’il ne subit aucune déperdition en traversant le corps, on n’est pas autorisé à lui contester toute vertu médicale ; que certaines matières peuvent, sans rien perdre de leur poids, exercer une action incontestable ; que cela se voit, par exemple, dans l’aimant, dont les effluves sont continus et efficaces sans nulle diminution de substance… Pour n’omettre aucune chance, il fait encore comparaître les amulettes, dont il n’eût certainement pas affirmé l’authenticité, quoique peut-être il n’en eût pas affirmé davantage la fausseté. « En troisième lieu, dit-il, si les amulettes opèrent par des émanations et des effluves sur les parties qu’elles touchent, et si on n’a pas encore observé qu’elles perdissent rien de leur