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avoir célébré la messe, il fit venir les docteurs Agreda et Blas Ortiz, créés chanoines de Tolède, ainsi que Juan Garcia, secrétaire du conseil général de l’inquisition d’Aragon, et il leur dit : « J’ai différé jusqu’à présent d’accepter le souverain pontificat, craignant de ne pouvoir soutenir le fardeau d’une aussi grande charge ; mais, comme je présume que mon refus menacerait l’église universelle de graves dangers, je me décide, avec l’aide du secours divin, à remplir cette sainte fonction. La providence impénétrable de Dieu ayant daigné m’y appeler, j’espère que sa grâce m’y soutiendra. Je vous prends donc à témoin de mon acceptation devant ce notaire qui en fera foi, et je vous enjoins de ne parler de ma résolution à personne. » Il reçut ensuite avec calme la notification du conclave, et le lendemain il revêtit l’étole pontificale, chaussa des mules avec des croix d’or, prit le nom d’Adrien VI, et donna ses pieds à baiser à tous ceux qui vinrent en foule se prosterner devant lui[1]. Tout en se résignant à porter la triple couronne, le pieux Néerlandais craignit de fléchir sous son poids. Il en sentit d’avance l’accablement, et il répondit aux félicitations d’un de ses anciens amis : « Ce qui vous réjouit m’attriste. Je frémis du fardeau que j’ai à porter. Que ne puis-je, sans offenser Dieu, le rejeter de mes épaules débiles, sur des épaules plus fermes ! Que celui qui me l’a imposé me donne des forces pour le soutenir[2] ! »

Ne pouvant conserver plus longtemps la régence d’Espagne, Adrien VI pressa Charles-Quint de revenir dans ses royaumes, et se prépara lui-même à partir bientôt pour l’Italie. Les deux souverains qui étaient en guerre dans ce pays recherchèrent, le roi de France sa neutralité, l’empereur sa coopération. Ce dernier prince, en même temps qu’il consolait Wolsey d’un échec dont tous ses efforts n’avaient pu, disait-il, le préserver cette fois[3], et qu’il lui donnait l’espérance d’une promotion future, s’attribuait auprès d’Adrien le mérite de lui avoir fait accorder le pontificat. Il voulait par là maintenir l’un dans ses favorables dispositions et gagner l’appui de

  1. Jovius, Vita Hadriani, cap. X.
  2. « Sed ut vos de honore summo, nobis ultro oblato, laetamini ; ita nos onus annexum exhorrescimus, atque utinam illud a nostris infirmis, in alios robustiores humeros, Deo inoffenso, rejicere possumus. Qui onus imposuit vires ad ferendum suppetat. » Ex Victoria urbe, februar. DCCLIII, lettre à Pierre Martyr, lib. XXXV, p. 435.
  3. C’est ce qu’il lui faisait dire par sir Richard Wynfeld, ambassadeur d’Henri VIII auprès de lui, qui écrivait le 11 février à Wolsey : « Sa majesté juge que le nouvel élu est vieux, malade, éloigné de Rome, de sorte qu’il ne restera pas longtemps en charge. C’est pourquoy elle vous prie de la manière la plus cordiale de vous tenir prêt vous même… Elle a l’intention sincère, lorsque le cas le requerra, de faire de son mieux pour votre avancement en cette matière. » Musée britannique, Galba B., VII, p. 6.