Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/38

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de nous, en Angleterre, nous voyons les rouages de la puissance navale qui fait la grandeur du pays être connus de tout le monde, tandis que chacun s’y intéresse aux perfectionnemens possibles, et que de nombreuses publications spéciales ne semblent qu’un tribut naturel payé à la curiosité publique.

Un savant distingué a plusieurs fois déjà insisté dans ce recueil sur la remarquable proportion de progrès industriels qui ont signalé la première moitié du xixe siècle. Je ne crains pas d’avancer que, de tous ces progrès, il en est peu qui aient plus complètement métamorphosé l’état préexistant que ceux accomplis dans la marine, et certes ce serait un sujet dont l’intérêt n’a pas besoin de commentaires que de suivre les diverses transformations au moyen desquelles l’humble caravelle d’un peu plus de cent tonneaux, sur laquelle Colomb franchissait l’Atlantique, est aujourd’hui devenue ce colossal Leviathan aux 23,000 tonneaux et aux 10,000 passagers. D’autre part, ce serait également une étude curieuse que de montrer, dans un passé encore près de nous, la révolution introduite par la navigation à vapeur, car l’on ne sait généralement pas assez, et je parle ici au point de vue du marin, dans quelles conditions toutes spéciales cette révolution s’est opérée : on se figure volontiers que la tendance actuelle de la marine est de généraliser l’emploi du steamer, et d’abandonner la voile pour la vapeur. Rien n’est plus faux, et l’entreprise du lieutenant Maury nous fournira l’occasion de présenter les nouveaux perfectionnemens de la navigation sous leur véritable jour.

Nous ne nous proposons pas d’envisager ici dans son ensemble l’immense progrès maritime de notre époque. Notre but est moins ambitieux et mieux défini : nous voulons montrer comment de nos jours la solution du grand problème de la navigation est double, comment la marine à voiles, loin de disparaître devant la marine à vapeur, s’est au contraire développée et perfectionnée depuis l’introduction de ce nouvel élément, et comment ses progrès se sont traduits par une entreprise à laquelle concourent aujourd’hui toutes les nations civilisées. Chose étrange, et qui ne fait que trop ressortir l’infériorité de notre esprit maritime en face de l’Angleterre et des États-Unis, cette entreprise, populaire chez les deux branches de la grande famille anglo-saxonne, est relativement encore peu connue en France ; à peine venons-nous d’apprendre le nom du lieutenant Maury, nom pourtant désormais célèbre dans les annales de la science et de la navigation, nom dont les Américains sont fiers à bon droit, et que les Anglais savent apprécier comme il le mérite. Combien peu de personnes savent chez nous qu’un homme, qu’un simple officier d’une marine étrangère, par la seule force de sa vo-