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veulent bien être logiques, c’eût été de voir la Grande-Bretagne ouvrant seule la campagne contre la Chine, comme elle l’a fait en 1840, prenant seule la défense et la direction des intérêts européens dans cet empire, et se réservant ainsi pour elle seule l’honneur ainsi que les profits d’influence attachés à l’expédition. — En ce qui concerne les partisans de l’alliance anglaise, leur satisfaction, leur approbation pleine et entière ne peut être un seul instant douteuse. La campagne de Chine, entreprise de concert par la France et par la Grande-Bretagne, continue en quelque sorte la campagne de Crimée, et, si l’on envisage les progrès de la puissance russe dans le nord de l’Asie, il est permis jusqu’à un certain point d’ajouter que la lutte est engagée non pas seulement contre le Céleste-Empire, mais aussi, par une conséquence indirecte, contre un adversaire plus sérieux. C’est donc un lien de plus entre les deux nations, un symptôme nouveau de confiance mutuelle et de cordiale entente; c’est une force presque irrésistible, qui assure le triomphe de la cause défendue en commun, et mieux encore c’est un surcroît de garantie pour la paix du monde. Telle doit être, telle est, à n’en pas douter, l’opinion de tous ceux qui, sans se dissimuler les difficultés que peut rencontrer le maintien de l’alliance anglaise, ont foi dans l’avenir de cette politique, et s’appliquent ouvertement à refouler dans le passé les anciens préjugés, les récriminations vulgaires, qui, sous une fausse apparence de patriotisme, s’interposent encore entre les véritables intérêts des deux pays. Qu’importent les dissentimens passagers, les susceptibilités épistolaires, les paroles malveillantes, si, après tout, pendant que ces petits faits s’agitent dans l’enceinte d’un parlement ou dans le cabinet d’une chancellerie, on voit, en Crimée, en Chine ou ailleurs, les armées et les escadres combattant ensemble le même ennemi, et l’honneur des deux peuples abrité sous les mêmes drapeaux ? Les coups de canon qui retentissent dans la rivière de Canton suffisent pour couvrir les voix discordantes dont on cherchera vainement à réveiller l’écho, et proclament hautement l’alliance anglo-française. En ce moment même, nous recueillons en Europe le fruit de la politique suivie en Chine de concert avec l’Angleterre. Cette politique doit donc, à tous les points de vue, être approuvée sans réserve.

Il nous reste à examiner les projets de colonisation dont on prête la pensée au gouvernement français, ou qu’on lui conseille. Il existe une opinion extrême qui se prononce contre tout nouvel établissement colonial : ce serait, dit-on, imposer à la France, sans utilité bien constatée, une très forte dépense; les colonies, nécessaires autrefois, alors qu’elles fournissaient à l’industrie des métropoles un marché exclusivement réservé, n’ont plus aujourd’hui la même raison d’être, puisque, dans l’Asie au moins, la plupart des ports sont ouverts à tous les pavillons, et que les possessions anglaises, régies par les principes du libre échange, accueillent sans surtaxe la plupart des marchandises; la France n’a donc pas besoin de colonies pour alimenter son commerce, d’ailleurs si restreint, qui trouve dans l’Inde britannique, à Siam, en Chine, les conditions les plus libérales. D’une autre part, en cas de guerre maritime, la nécessité de défendre une colonie lointaine disséminerait nos forces et nous affaiblirait en Europe, où nous devrions au contraire, si nous avions l’Angleterre pour ennemie, concentrer toutes