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magie vaporeuse ; mais il refuse de briller, et le brouillard s’épaissit de plus en plus.

« Le bonheur seul en effet, le bonheur réel, non les vaines chimères auxquelles nous donnons ce titre, peut lutter avec avantage contre cet ennemi terrible lorsqu’il n’a pas pris depuis trop longtemps possession de notre âme. Toutes les autres armes sont vaines, quoi qu’on dise, et l’énergie d’un Hercule faiblirait dans une pareille lutte. Que veulent dire les pédagogues qui n’ont jamais subi les atteintes de ce mal, les mondains à la vie bruyante, lorsqu’ils nous prêchent qu’il est de notre devoir de lutter, ou qu’ils nous proposent leurs plaisirs comme moyens de défense ? Pensent-ils donc que la lutte n’ait pas eu lieu ? Il y a toujours un moment où la réaction arrive, où l’âme s’agite avec une fiévreuse impatience pour secouer son engourdissement, où nous nous indignons contre cet asservissement que nous n’avions pas prévu, où nous essayons de reconquérir notre liberté. C’est l’heure des vaines colères et des inutiles violences, l’heure des blasphèmes lancés dans le vide, des cris auxquels nul écho ne répond, des larmes que nul souffle du ciel ne vient sécher ; mais, pareille à un peuple révolté qui vient de lui-même se remettre sous le joug d’un tyran, l’âme se lasse de ces stériles combats. Oh ! comme elle revient domptée, soumise et châtiée de sa tentative d’indépendance ! Avec quelle muette servilité et quel obéissant empressement elle reprend le collier de son ancienne servitude ! Désormais elle ne fera plus un mouvement : elle comprend qu’elle est une victime marquée par la fatalité, et, pleine de repentir pour ses hardiesses impies, elle courbe pieusement la tête devant cette éternelle puissance qui régissait les anciens dieux et qui régit toujours les hommes.

« C’est alors que cet ancien ami, cet aimable compagnon de vos longues journées solitaires et de vos veilles silencieuses, l’ennui, se présente à vous avec son véritable visage, imposant, solennel, despotique. Désormais docile et revenu à jamais de vos incartades d’écolier, vous prêtez attentivement l’oreille à ses graves leçons, vous n’en perdez plus une syllabe. L’amour de ce maître austère vous vient, vous comprenez enfin que son dessein est de vous donner, malgré vous, le bonheur. Il veut vider votre âme et votre cœur de tout cet assemblage profane d’idées, de sentimens, de passions, sources d’erreurs et de mensonges que les sages ont toujours fuies. Il veut y faire régner un désert solennel qui soit un tabernacle digne de recevoir l’idée du rien éternel. Une telle opération vous semble dépasser de beaucoup, n’est-il pas vrai, les opérations chirurgicales les plus douloureuses que nous connaissions ? Cependant il n’en est rien. L’ennui procède dans son œuvre de destruction comme la nature,