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C’est en un mot comme tutrice de ces éternels mineurs qu’elle parvient à faire naître une question diplomatique de leur embarquement sur notre territoire[1]. Or les renseignemens qui viennent d’être donnés sur le régime de l’immigration française prouvent assez que la compagnie est mal informée sur ce qui se passe dans nos colonies, et ce qu’on sait aujourd’hui de la nature de sa domination dans l’Inde nous donne la mesure des égards que mérite sa sollicitude pour les natifs. Il n’est guère permis de douter que ses manifestations ne soient dictées à la fois par le sentiment de l’intérêt matériel et par le reste inavoué d’un vieil antagonisme. Il a été expliqué déjà que le passage des coolies du territoire britannique sur celui de nos comptoirs ne pouvait dans la pratique être empêché, que dès lors, si la France renonçait à leur immigration, ce ne pourrait être qu’administrativement, en ce sens que par condescendance diplomatique le gouvernement retirerait sa coopération et son contrôle aux opérations du recrutement. Si notre exposé est fidèle, la question nous semble devoir désormais se poser en des termes qui rendent presque une réponse superflue : la compagnie des Indes, si réduite dans l’opinion publique en Angleterre, ne doit-elle conserver d’autorité qu’en ce qui peut nuire aux intérêts de la France ?

À l’époque où existait l’esclavage dans les colonies françaises, une propagande ouvertement organisée dans les îles anglaises voisines de ces possessions provoquait nos noirs à venir chercher la liberté en touchant un sol émancipé. En vain le gouvernement français fit alors appel aux sentimens de bon voisinage de son allié, cet allié demeura sourd à ses représentations, et nous ajouterons qu’il était dans son droit. Or il s’agissait alors d’esclaves, c’est-à-dire d’une propriété reconnue ouvertement par l’Angleterre, qui venait de dépenser 500 millions de francs pour la racheter ; aujourd’hui il s’agit d’hommes libres, d’hommes sur les services desquels ne pèse aucun droit régulièrement acquis. Moralement et diplomatiquement, toute la question nous paraît pouvoir se renfermer dans ce rapprochement.


III

Il reste maintenant à rechercher sur quelle base s’est opérée la réorganisation du travail agricole aux colonies. Cette base est bien simple : c’est en général le salaire journalier tel qu’il existe dans

  1. Cela est tellement vrai que jamais les observations du gouvernement anglais n’ont porté sur le recrutement des Indiens émigrant de territoires relevant directement de la couronne.