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la parole. Dans l’autre interprétation, il faut qu’un langage effectif ait été révélé à l’homme; en d’autres termes, c’est une langue déterminée qui lui a été divinement enseignée. Puisque chaque idée ne naît qu’avec chaque mot, l’hypothèse va jusque-là, ou elle est insignifiante, et c’est en effet ainsi que l’ont entendue ceux qu’on appelle traditionalistes. De cette double doctrine : la parole est la cause efficiente des idées et le produit d’une révélation divine, doctrine contraire à celle de toutes les grandes autorités, de Platon comme de saint Augustin, d’Aristote comme de saint Thomas, de Descartes comme de Bossuet, on a conclu que toutes nos connaissances avaient une révélation pour origine. Ainsi ce n’est plus ni l’expérience ni la raison qui est la source de la connaissance humaine. Nous ne savons les choses que grâce à leurs noms. C’est en métaphysique un nominalisme d’un nouveau genre. Le principe de toute certitude est ainsi placé en dehors de nous, et la recherche de la vérité n’est plus que la recherche du témoignage. La déférence à l’autorité du témoignage devient le seul légitime attribut de notre intelligence; la raison disparaît pour faire place à la foi, et la foi elle-même n’est plus que la soumission à la tradition, laquelle dépend pour chacun du temps, du pays et de la famille où il est né. Vainement allègue-t-on qu’il s’agit d’une tradition dont la source est divine. S’il s’agit d’une révélation au sens orthodoxe du mot, c’est une révélation surnaturelle ou plutôt extra-naturelle, et celle-là suppose l’homme déjà pourvu de son intelligence; elle suppose ce que dans le système elle est destinée à expliquer. La révélation chrétienne, par exemple, relève ou même transforme l’humanité; mais elle reçoit de la création l’homme de la nature pour en faire l’homme de la grâce. Si au contraire on veut parler d’une révélation naturelle, originairement divine comme tout ce qui est, on rentre dans l’ordre de la raison, mais on sort de l’ordre de la foi, et pour trop étendre le christianisme, on le noie dans la philosophie, à moins de soutenir que la distinction de la grâce et de la nature est vaine, et que tout est surnaturel, ce qui est contraire en même temps à l’expérience, au sens commun et à la théologie. Il n’y a plus dans cette doctrine de milieu entre un naturalisme absolu et une théophanie perpétuelle qui conduit à l’universelle théocratie.

Telle est en substance la critique que dans un style excellent, car M. Maret est un excellent écrivain, l’auteur de Philosophie et Religion dirige contre une école trop longtemps puissante, et qui n’est pas encore abattue. Son ouvrage contient sur d’autres questions fondamentales de la philosophie bien d’autres vues qui mériteraient notre examen, nous y trouverions beaucoup à apprendre et beaucoup à louer : nous aurons ailleurs à nous prévaloir du jugement prononcé par le sage doyen de la faculté de théologie sur saint