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prononcées. Il en a été tout autrement de l’anglo-saxon. En passant en Angleterre, en se mêlant à des Celtes et plus tard à des Français, les peuples émigrés de la Germanie ont perdu leur caractère linguistique. La langue parlée par eux s’est promptement altérée ; le travail de décomposition a miné le fond de la grammaire, et la langue anglaise, née d’un idiome germanique transporté dans Albion, unit par rappeler sous le rapport grammatical encore plus la simplicité analytique des langues néo-latines que la constitution de la langue mère, dont elle a néanmoins gardé tant de mots.

L’influence du mélange des races est encore bien plus prononcée quand deux langues de développement très inégal se trouvent en présence, que les populations qui les parlent sont soumises à un perpétuel frottement, ou même s’allient entre elles. C’est la remarque que l’on a pu faire dans l’Océanie ; là existent des idiomes d’une extrême simplicité, simplicité qui répond à la débilité intellectuelle de ceux qui s’en servent. Ces langues n’ont que peu de mots et des formes grammaticales très imparfaites ; mais les Malais, dont la race a envahi une partie de la Polynésie, se mêlent incessamment, et par des croisemens multiples, à la population australienne et papoue. Leur langue, quoique encore assez simple, est infiniment supérieure à ces idiomes grossiers. Pour entrer en rapport avec les Malais, les populations australiennes se voient forcées non-seulement de leur emprunter souvent des mots, mais d’introduire dans leur propre langage des distinctions de genres, des modalités, des tournures qui leur étaient primitivement étrangères, et dont ne sauraient se passer les Malais, précisément parce que leurs idées sont plus avancées. La grammaire malaise fait donc invasion dans les idiomes australiens ; elle leur donne un moule qui manquait encore à certaines catégories d’expressions de la pensée. Dans quelques îles, cette langue a seulement introduit ses idiotismes en respectant le vocabulaire primitif, dans d’autres elle a chassé une partie des mots ; mais une fois cette dépossession opérée sur une grande échelle, la grammaire de l’ancien idiome a fini par être abandonnée, et le malais s’est alors complètement substitué à la langue primitive[1].

Bien que divisées par la grammaire et le vocabulaire, les langues sont cependant soumises à certaines influences supérieures qui déterminent parmi elles des familles, des groupes distincts. Deux idiomes, quoique très inégalement avancés, peuvent avoir des liens de parenté visibles. La rudesse et la grossièreté de l’un n’empêchent pas qu’on ne reconnaisse en lui la même expression que dessinent mollement les traits affadis et délicats de l’autre. Jamais d’ailleurs une langue ne se soustrait complètement, sous le rapport

  1. M. Logan a publié dans son Journal de l’archipel indien de savantes études sur cette transformation des idiomes océaniens. Son Ethnologie océanienne dénote un esprit à la fois sage et pénétrant auquel il n’a manqué que des informations plus positives sur les langues et les races qu’il rapproche de celles dont il connaît si bien l’histoire. On sent, en lisant ses travaux, que l’on n’a point affaire en lui à un philologue de profession, mais à un observateur qui vit parmi les populations dont il analyse les langues. M. Logan appartient donc à une école plus pratique que celle des philologues allemands ; Guillaume de Humboldt par exemple n’avait aperçu les langues de l’Océanie qu’à travers des orthographes imparfaites.