Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/833

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bords de la Djamouna, y fondèrent une ville qui fut nommée Indra-prastha. Soutenus par Krichna, ils n’eurent pas de peine à vaincre, quelques rois voisins qui avaient eu l’imprudence de leur déclarer la guerre, ou de s’opposer à la célébration du sacrifice royal, par lequel l’aîné des Pândavas voulait absolument constater son indépendance[1]. Le petit royaume dont Indraprastha était le centre prospérait sous le gouvernement juste et ferme des fils de Pândou. De pareils succès devaient accroître à bon droit la jalousie de Douryodhana, l’aîné des Kourous, et lui porter ombrage. Ses conseillers avaient bien de la peine à l’empêcher de faire la guerre aux Pândavas ; l’envie le dévorait ; il en était devenu « tout pâle, malheureux, jaune et maigre. » Les richesses accumulées à Indraprastha, le bonheur dont jouissent les cinq héros et le renom qu’ils se sont fait dans toute l’Inde centrale empêchent Douryodhana de dormir ; il les voit déjà étendre leur domination d’une mer à l’autre. Parlant de la cérémonie du couronnement à son ami Çakouni et des deux cent mille brahmanes qui se groupaient autour du trône, il s’écrie :

« La conque y résonnait sans cesse. Le son de cette conque encore, encore retentissante, toujours frappait mon oreille, et mes cheveux se dressaient sur ma tête. — L’assemblée fourmillait de princes avides de voir,… et les rois, qui avaient pris sur eux tous leurs joyaux, dans ce sacrifice du prudent fils de Pândou, étaient, comme des gens de basse caste, rangés humblement autour dès brahmanes, eux, les maîtres de la terre ! — Et depuis que j’ai vu cette fortune du fils de Pândou, égale à celle du roi des dieux, souveraine, je ne puis plus trouver de repos, tant j’ai l’esprit en feu ! »

C’est bien là le langage de l’envie, cette honteuse passion qui se figure l’ennemi plus heureux, plus brillant qu’il n’est peut-être, afin de le haïr davantage, et comme pour mieux alimenter son propre feu. Le conseiller Çakouni, à qui s’adressait Douryodhana, et qui partage lui-même ses mauvais sentimens, répond à peu près comme Méphistophélès au docteur Faust :

« Cette incomparable fortune que tu leur as vue, apprends de moi un moyen de t’en rendre maître, ô héros incomparable. — Je suis, au jeu des dés, d’une habileté connue sur la terre ; je connais les cœurs, je saisi les règles et les hasards du jeu. — Il aime à jouer, Youdhichthira, mais il n’y entend rien ; si tu le provoques, il viendra certainement pour jouer, comme il serait venu pour combattre. — Quand il sera tout au jeu, je le gagnerai en usant de fraude ; je lui enlèverai cette richesse plus qu’humaine, toi, provoque-le donc[2]. »

  1. Et même sa souveraineté sur les princes voisins qui devaient remplir des emplois secondaires dans la grande cérémonie appelée râdjasoûya, et par conséquent faire acte de vassalité.
  2. Chant du Sabhâparva, section du Dyoutaparva, lect. 47, vers 1,741.