Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/643

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point de requêtes, de mémoires injurieux, de discours d’avocats ; point d’arrêt de tribunal ! Une simple séparation à l’amiable, sans bruit, sans fâcherie, comme il sied à des gens de qualité, si bien que, le jour où cette séparation me donne le plus léger regret, ennuyé de mon odyssée, je retourne près de ma femme et de ma fille sans que rien s’y oppose, et me voilà en possession de mes droits de mari et de père, tandis que si nous avions plaidé, je ne serais peut-être plus le maître chez moi.

— Où voulez-vous en venir, monsieur ? interrompit la marquise.

— Chère Lucia, auriez-vous oublié certaine cérémonie dans l’église de Sainte-Marie-Formose, où nous étions côte à côte il y a dix-sept ans ?

— Non, monsieur, je n’ai oublié ni votre indigne conduite, ni les chagrins dont vous avez abreuvé ma jeunesse.

— Mes torts sont énormes, et je les confesse humblement ; mais ne souhaitez-vous pas que notre fille soit mieux mariée que sa mère ? Il lui faut un époux de bonnes mœurs, sincèrement amoureux d’elle, et j’approuve le choix que son cœur a fait.

— Et moi je le blâme, dit la marquise.

— Oui-dà ! Le pauvre Remigio aurait-il à se reprocher quelque fredaine, des dettes ou des maîtresses, comme le père de sa belle ?

— Je n’en sais rien ; mais ce parti ne me convient pas.

— Et s’il me convient à moi ? Tenez, marquise, n’essayez pas de me résister. Je ne suis qu’un mauvais sujet, mais lorsqu’il s’agit de notre enfant, je sens remuer dans mes entrailles je, ne sais quoi qui ressemble à de la vertu. Pour le bonheur et le repos de notre Erminia, je serais capable de me ranger, de me convertir. S’il n’y a pas d’autre moyen de lui rendre la vie douce et facile, je vous infligerai un époux sage, assidu, fidèle. Prenez-y garde, je vous jouerai ce tour-là, si vous me poussez à bout.

— Vous vous moquez, répondit la marquise.

— Je ne me moque point, madame. Mais où donc est-elle, cette chère fille ?

— Dans sa chambre, par mon ordre.

— Eh bien ! mon premier acte d’autorité sera de lever ses arrêts.

Saverio avait déjà saisi le cordon de la sonnette, lorsqu’on vit accourir le vieil intendant, les bras en l’air, la mine effarée, poussant tous les hélas ! les accidente ! les managgio ! et autres exclamations par lesquelles on a soin en Italie de préparer les gens à recevoir la nouvelle d’un malheur. Plus inquiet pour lui-même que pour sa jeune maîtresse, Pippo fit un récit de l’évasion d’Erminia aussi pompeux que celui de Théramène, en y jetant incidemment des protestations de zèle et des offres de service au seigneur marquis, son cher maître,