Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/526

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Introduits sous le pavillon, le commodore, son état-major et ses interprètes furent invités à prendre place à gauche, sur les sièges qui avaient été préparés ; — au Japon, la place d’honneur est à gauche. Presque immédiatement entrèrent les cinq commissaires impériaux qui se dirigèrent vers la droite. Dès qu’ils parurent, les officiers japonais présens dans la salle tombèrent à genoux, la tête penchée en avant, et ils gardèrent cette posture très respectueuse, mais peu comfortable, pendant toute la durée de l’entrevue. Quelques-uns même s’étendirent franchement, le front, la poitrine et les genoux collés au parquet. Les Américains, qui aiment les tours de force et d’adresse, ne purent s’empêcher d’admirer la flexibilité que les Japonais déployaient dans ces exercices de prostration, qui paraissaient exiger une souplesse et des membres de clowns. Les Japonais passent une partie de leur vie à saluer leurs supérieurs et à être salués par leurs inférieurs ; leurs saluts sont interminables, ils les exécutent à tout propos, et toujours, même dans les circonstances les plus vulgaires, avec la plus sérieuse gravité de physionomie et de gestes. S’il faut en croire le récit américain, un peintre de genre ferait un joli tableau de deux Japonais qui s’abordent. Cette politesse extrême peut sembler fatigante ou ridicule, surtout aux yeux des Européens, qui ont peu à peu relégué dans des figures de danse la gymnastique des saluts profonds ; mais les marques extérieures de respect que les mœurs, japonaises imposent aux inférieurs dans leurs rapports avec les supérieurs attestent chez ce peuple un sentiment enraciné de hiérarchie et d’ordre qui a bien son mérite, si l’on considère l’influence qu’il exerce sur les liens de famille et sur les relations sociales. Au Japon plus encore qu’en Chine, la conservation de l’état repose sur une pyramide de : saluts. Le salut, poussé parfois jusqu’à la prostration, est réellement une institution politique. Pour peu que l’on réfléchisse, on reconnaîtra combien doit être solide un gouvernement où les inférieurs n’osent pas lever les yeux vers leurs supérieurs et ne peuvent point les voir en face ! Parmi les Japonais qui se tenaient humblement prosternés dans la salle d’audience à Yoku-hama, très peu sans doute auraient été en mesure de décrire, ainsi qu’a pu le faire l’historiographe de l’ambassade américaine, le costume et la physionomie des cinq dignitaires délégués de la cour de Yédo. Ces nobles personnages portaient un vêtement de dessous assez semblable à un pourpoint et un pantalon très large en soie brochée, tombant jusqu’à mi-jambe. Ils avaient aux pieds des sandales, fixées par des bandelettes. Une robe de soie brodée, taillée en forme de camail, recouvrait le pourpoint et le pantalon. Ouverte sur le devant, elle laissait voir une ceinture dans laquelle étaient enveloppés deux sabres, dont les poignées, disposées dans le même sens,