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des plus utiles ; à éviter avec soin tout emprunt public nouveau, toute institution nouvelle de crédit, toute excitation artificielle au luxe ; à réduire les dépenses militaires au strict nécessaire, maintenant que la guerre est finie, Dieu merci ! et à attendre avec patience et confiance l’effet infaillible de ces mesures réparatrices. J’ajouterais bien, si je l’osais, qu’une intervention plus active des citoyens, sinon dans la gestion de leurs intérêts politiques, puisque la constitution s’y oppose, du moins dans celle de leurs intérêts administratifs et financiers, me paraîtrait le plus sûr moyen de garantir ce retour vers une meilleure économie des forces publiques ; mais je ne me dissimule pas que la disposition universelle des esprits y est peu favorable, et je ne voudrais pas, en combattant les chimères d’autrui, proposer à mon tour la mienne. Après avoir abusé de la liberté jusqu’à la folie, la France ne veut même plus user de celle que lui laissent ses institutions nouvelles ; il faut, pour le moment du moins, en prendre son parti. Le devoir n’en est que plus grand pour ceux qui la gouvernent de ménager cette nation, naguère intraitable, qui se livre aujourd’hui avec un si complet abandon.

Dans toutes nos grandes crises historiques, le paysan français, si bien personnifié par Jacques Bonhomme, a toujours fini par nous tirer d’affaire. Remontez aux croisades, aux guerres féodales, aux guerres contre les Anglais, aux guerres de religion, aux guerres d’Italie, aux guerres de Louis XIV, aux guerres de la révolution et de l’empire : c’est Jacques Bonhomme qui répare sans cesse le mal fait par d’autres. C’est encore Jacques Bonhomme qui a supporté tout le poids de la dernière révolution et de la dernière guerre, c’est lui qui a héroïquement subi sans se plaindre l’épreuve douloureuse de la disette, bien plus meurtrière dans les campagnes que dans les villes ; c’est lui qui ne se lasse pas de fouiller le sol natal avec une opiniâtreté invincible, comme dit La Bruyère, et qui en tirera certainement de nouveaux fruits. Ses rangs se sont sans doute bien éclaircis depuis quelque temps, mais il en reste assez, pourvu qu’on ne les disperse pas davantage. Il ignore les jouissances du luxe, les gains du jeu, les ambitions fiévreuses, et possède encore les mâles vertus et les instincts producteurs de ses pères. Laissez-le faire ; il vous rendra bien vite sans faste et sans bruit, sinon ce que vous avez perdu, du moins ce que peuvent créer de richesses nouvelles le travail et l’économie. Si les autres classes de la société française, riches, bourgeois, artisans des villes, valaient pour leurs rôles ce que Jacques Bonhomme vaut pour le sien, ce n’est pas l’Angleterre, c’est la France qui serait depuis longtemps le premier peuple de l’univers.


LÉONCE DE LAVERGNE.