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La Petite Comtesse, une de ses dernières compositions, nous offre un récit émouvant ; cependant je préfère à la Petite Comtesse Rédemption et Dalilah. Il y a dans ces deux ouvrages une étude plus sérieuse et plus profonde des angoisses de la passion. Dans ses premiers essais, M. Octave Feuillet se préoccupait trop évidemment de M. Alfred de Musset. Maintenant il a trouvé sa voie, et les fautes que je lui reproche lui appartiennent tout entières, S’il parle encore par la bouche de ses personnages, s’il n’a pas réussi à déguiser les sentimens qui l’animent, à se transformer chaque fois qu’un personnage nouveau entre en scène, ce n’est pas qu’il soit dominé à son insu par le démon de l’imitation, c’est qu’il attache trop d’importance aux artifices du style. Qu’il écrive quelques récits pareils à la Petite Comtesse, et son talent se dégagera peu à peu de toutes les ruses de la coquetterie. La vérité de la pensée le conduira nécessairement à la simplicité du style. J’ignore s’il lui sera donné de concevoir et de mener à bonne fin des ouvrages de longue haleine ; mais ce qu’il a fait jusqu’ici nous a révélé un esprit charmant, plein de finesse, de pénétration, et ce serait grand dommage si la flatterie venait à l’égarer. Les gages qu’il a donnés sont des gages précieux, mais il n’a pas fait encore tout ce qu’il peut faire. Il y a dans Rédemption et dans Dalilah des pensées très élevées, des sentimens très vrais, qui agiraient bien autrement sur l’âme du lecteur, si l’expression était plus franche, si l’auteur avait usé des images avec plus de sobriété. L’erreur qui parait dominer M. Feuillet dans ses meilleures compositions, et même dans la plus récente, dans la Petite Comtesse, c’est qu’il n’y a pas de forme littéraire qui se puisse comparer à la forme lyrique. Aussi, toutes les fois qu’il trouve l’occasion de placer un trope ingénieux ou hardi, il s’empresse d’en profiter, et ne s’aperçoit pas qu’il exercerait sur la foule une action plus puissante, s’il consentait à lui parler une autre langue, s’il mettait dans la bouche de ses personnages les mots que chacun prononce, au lieu de leur attribuer une habileté qui dénonce la présence de l’auteur. M. Feuillet a donné trop de preuves de bon sens pour ne pas chercher à conquérir ce qui lui manque. Les suffrages obtenus par la Petite Comtesse ne doivent pas l’abuser : il n’a pas encore complètement touché le but. Il plaît aux délicats, il n’est pas encore compris de tous. Il n’a pas cédé à la tentation de parler quand sa pensée se taisait, c’est un grand point ; il appartient à la minorité laborieuse, et n’a rien à démêler avec la littérature industrielle : il lui reste à mettre l’expression d’accord avec la pensée. Qu’il se résigne à présenter des sentimens vrais sous une forme plus simple ; qu’il répudie Marivaux et Beaumarchais pour s’en tenir à l’étude de Molière : l’approbation des connaisseurs et de la foule aura bien vite marqué son vrai rang.