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médecin recherche surtout dans les pays chauds, où l’on n’a pas à redouter les rigueurs de l’hiver, les sites élevés et non dominés ; mais la commission de casernement n’a pas toujours des préoccupations de ce genre, parce qu’en France, il faut bien le dire, on apprend tout, excepté l’hygiène. Si les élèves de Saint-Cyr consacraient seulement douze heures à écouter douze leçons d’hygiène, ils apporteraient dans l’armée quelques principes d’une science dont les soldats eux-mêmes sentiraient bien vite les bienfaits ; les conseils des médecins seraient mieux écoutés, et les dangers d’épidémie auxquels l’armée est sans cesse exposée seraient plus, souvent conjurés. L’organisation des hôpitaux était du moins irréprochable ; le mobilier, les lits, l’alimentation, les fournitures, ne laissaient rien à désirer ; le service médical était parfaitement dirigé. Tout témoignait d’un zèle actif et d’une sollicitude éclairée.

Nous traversâmes de nuit la mer de Marmara, et dès l’aube le splendide panorama de Constantinople et la pointe du Sérail se montrèrent à nos regards. Vers un ciel d’azur s’élancent les flèches des minarets, rangés comme une garde d’honneur autour des grandes mosquées que domine Sainte-Sophie. L’atmosphère était vaporeuse, et ce paysage, peuplé de kiosques, couvert d’une forêt de cyprès, était comme un rêve réalisé des Mille et une Nuits. Il est fâcheux que le charme s’évanouisse dès qu’on met le pied dans le dédale de ces rues étroites, boueuses, pleines de fondrières, parcourues par des porte-faix de force herculéenne, sorte de chameaux bipèdes qu’on appelle harnais, par des chiens et par des ânes chargés de madriers. Les maisons sont en bois ; elles ont un aspect misérable, et l’on n’y trouve ni architecture, ni style, ni caractère.

Je visitai sans retard les hôpitaux. Les malades qui venaient de Crimée étaient pour la plupart atteints d’affections intestinales, de fièvres intermittentes ou rémittentes, et surtout de scorbut. Chez les blessés atteints du scorbut, le sang appauvri, devenu plus fluide, suintait des plaies avec une grande abondance ; les procédés les plus énergiques de la science ne pouvaient triompher de ces hémorrhagies, qui étaient assez souvent mortelles. Un mal plus redoutable encore, la pourriture d’hôpital, exerçait d’affreux ravages. Beaucoup de blessés l’apportaient de Crimée, et ceux qui avaient été jusque-là épargnés s’en trouvaient atteints après un court séjour dans les hôpitaux. Des blessures presque fermées, considérées comme guéries, se rouvraient, envahies par la gangrène. Ce fléau, qui n’avait sévi que très rarement en Algérie, se trouvait déjà très répandu, au moment de mon départ pour l’Orient, dans nos hôpitaux de Marseille et du midi, qui recevaient des blessés de Crimée. Il est contagieux, et se transmet, par l’air, d’une plaie à une autre. Une salle