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portrait de Maximilien, l’a buriné pour l’avenir au complet, et l’histoire n’ajoute pas deux mots au portrait du maître. Cette grande figure osseuse, fort militaire, d’un nez monumental, est un don Quichotte sans naïveté. Le front est pauvre, comme l’âpre rocher du Tyrol que l’on voit dans le fond ; aux corniches des précipices errent les chamois que Max mettait toute sa gloire à atteindre. Il était chasseur avant tout, et secondairement empereur ; il eut la jambe du cerf et la cervelle aussi. Toute sa vie fut une course, un hallali perpétuel. On le voyait, mystérieux, courir d’un bout de l’Europe à l’autre, gardant d’autant mieux son secret qu’il ne le savait pas lui-même. Du reste, les coudes percés, toujours nécessiteux autant que prodigue, jetant le peu qui lui venait, puis mendiant sans honte au nom de l’empire. On le vit, à la fin, gagnant sa vie comme condottiere dans le camp des Anglais, empereur à cent écus par jour. » Voilà un portrait minutieux, détaillé à la manière des maîtres allemands de la renaissance. Les portraits des deux premiers Guise, au contraire, semblent peints avec le pinceau d’un Flamand de l’école d’Anvers. « Ce qui alarme en tous les deux, dans François et son frère, le cardinal de Lorraine, c’est la mobilité nerveuse de la face, qu’on ne retrouve à ce degré nulle part. Le cardinal, d’un teint infiniment délicat, transparent, tout à fait grand seigneur, évidemment spirituel, éloquent, d’un joli œil de chat gris pâle, étonne par la pression colérique du coin de la bouche, qu’on démêle sous sa barbe blonde : elle pince, elle grince, elle écrase… François, d’un teint grisâtre, plutôt maigre, d’un poil blond-gris, d’une mine réfléchie, mais basse, malgré sa nature fine et sa décision vigoureuse, n’a rien d’un prince : figure d’aventurier, de parvenu, qui voudra parvenir toujours. Plus on le regarde longtemps, plus il a l’air sinistre. Sa sœur, Marie de Guise, l’accusait de tirer tout à lui. Son frère, Aumale, ne recevait rien du roi, que François n’en fût triste, ne l’en chicanât. Son visage dit tout cela. » D’autres fois le personnage est caractérisé d’un trait rapide et net. « Le duc d’Albe, dit M. Michelet, emportera tout. Il suffit de le voir dans les portraits et dans les documens pour comprendre son ascendant. C’est un génie médiocre, mais fort par la netteté du parti pris, par la simplicité des vues et par la passion. » Pour quiconque connaît le duc d’Albe, ce jugement est admirable ; il n’a dû de rester le modèle des persécuteurs qu’à la précision de sa haine, qui lui tint lieu d’intelligence, à cette effrayante intensité de colère qui lui tint lieu de caractère, et lui donna la faculté rare d’être à toute heure et en toute occasion déterminé à tout.

Artiste lui-même, M. Michelet sent excellemment les œuvres d’art, et réussit souvent à nous en faire saisir les plus délicates