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chrétiennes et païennes que nous avons pu contempler à loisir nous expliquent assez clairement la nature et la puissance des facultés qui marquent la place de Titien dans l’histoire de la peinture. Ce qu’il importe de rappeler, avant de déterminer le rang qui lui appartient, c’est l’état de l’art au moment où il est venu, les travaux accomplis pendant sa vie à Rome et à Florence, et enfin l’action qu’il a exercée sur les générations venues après lui.

Avant les premiers travaux de Titien, la peinture italienne était déjà parvenue à la virilité, et tandis qu’il poursuivait sa carrière, Florence et Rome la conduisaient à la perfection. Giotto, Fra Angelico et Masaccio s’étaient préoccupés de l’expression du sentiment religieux et de l’imitation du modèle vivant. À Padoue, dans l’église de Saint-Antoine, Giotto avait laissé des monumens impérissables de son génie, et Titien pouvait les consulter à toute heure. Quant aux fresques du couvent de Saint-Marc à Florence, rien n’autorise à croire qu’il les ait connues. On peut en dire autant de la chapelle du Carmine, commencée par Masolino da Panicale et terminée par Masaccio. Cependant cette chapelle, étudiée avec une égale ardeur par Raphaël, par André del Sarto, par Léonard et par Michel-Ange, avait opéré une véritable révolution dans la peinture italienne, car elle avait enseigné la nécessité de traiter les extrémités, les pieds et les mains, avec autant de soin que le torse et le visage. On peut dire que la chapelle du Carmine a révélé la manière de mettre les figures d’aplomb. Avant l’élève de Masolino, presque tous les personnages des meilleures compositions se tenaient sur la pointe des pieds. Après avoir vu la chapelle du Carmine, personne n’osa plus suivre cette méthode barbare, et l’étude des extrémités entra dans la tradition. Si Titien n’a pas connu les travaux de Masaccio, et nous avons le droit de le croire, il n’a pas échappé à l’action de ce maître, qui avait changé la face de la peinture. Il a profité de ses conseils sans les avoir recueillis directement. Je ne veux établir entre eux aucune comparaison, je me borne à dire que Masaccio avait frayé la voie où Titien a marché ; seulement le maître florentin comprenait l’imitation autrement que le maître vénitien. Dans la chapelle du Carmine, ce qui attire surtout l’attention des connaisseurs, c’est l’expression de la forme ; dans les fresques de Saint-Antoine de Padoue, comme dans l’Assomption, comme dans la Présentation au Temple, c’est le choix et l’harmonie des couleurs. Masaccio s’attachait à traduire les contours du corps par la draperie. Cette distinction suffit pour marquer l’intervalle qui sépare le maître florentin du maître vénitien. Masaccio avait montré ce qu’il fallait faire pour imiter la forme du modèle ; Titien a fait un pas de plus vers la vérité en s’efforçant de donner au modèle la couleur qui lui appartient. Il est vrai qu’il a trop souvent négligé le contour pour le ton de la chair