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et modérés. De toute cette agitation, que reste-t-il aujourd’hui ? Le scrutin a parlé, et il a donné une majorité considérable au ministère récemment appelé au pouvoir par le roi Léopold. Par le fait, les rapports des partis dans la chambre des représentans se trouvent soudainement intervertis. Jusqu’à la dernière dissolution, le parti catholique comptait une majorité de vingt voix environ ; maintenant, par suite des élections qui viennent d’avoir lieu, cette majorité est déplacée au profit des libéraux, qui ont même gagné quelques voix de plus, et qui sont au nombre de soixante-dix à peu près, tandis que leurs adversaires ne comptent plus que trente-huit voix. Gand, qui avait jusqu’ici une représentation entièrement catholique, n’a élu cette fois que des députés appartenant à l’opinion libérale. À Anvers, deux catholiques qui avaient été nommés dans les précédentes élections ont été évincés. Parmi les personnages politiques qui sont restés sur le champ de bataille électoral, on compte l’ancien président de la chambre des représentans, M. Delehaye, l’orateur du parti catholique, M. Dechamps, et plusieurs membres du dernier cabinet, M. Dumon, M. Mercier, M. Alphonse Nothomb. C’est là le résultat sommaire et général. Le ministère de M. Rogier peut s’appuyer désormais sur une majorité suffisamment compacte.

En observant de plus près ces élections, en les décomposant en quelque sorte, on verrait se dégager un fait lumineux, qui montrerait sous des formes diverses combien le bruit factice des polémiques excessives et des passions extrêmes représente peu l’opinion vraie du pays. Parmi les ministres qui étaient au pouvoir il y a quelque temps, quels sont ceux qui ont été le plus abandonnés et même le plus décriés par les journaux catholiques extrêmes ? Ce sont sans contredit M. de Decker et le comte Vilain XIIII, et ce sont justement les deux membres du dernier cabinet qui seuls ont été réélus sans nulle opposition, tandis que M. Nothomb, M. Mercier, qui passaient pour représenter une politique plus exclusive, ont échoué. Et d’un autre côté que voit-on dans l’opinion libérale ? Les mêmes tendances se manifestent ; on peut remarquer parmi les électeurs de cette opinion un certain penchant à choisir de préférence les plus modérés de leurs candidats. M. de Perceval, qui professe un libéralisme assez exagéré, n’a point été réélu à Malines, et à Bruxelles même M. Verhaegen, qui d’habitude était nommé le premier, s’est vu relégué presque au dernier rang par le scrutin, tandis que le premier élu a été le bourgmestre de Bruxelles, M. Ch. de Brouckère, qui avait donné sa démission de représentant à la suite d’un dissentiment avec son parti sur la loi même de la bienfaisance. Que peut-on conclure de ces faits ? C’est que le pays, non celui des journaux et des polémiques violentes, mais le pays vrai, répugne instinctivement aux partis extrêmes, et a le goût des opinions sensées et modérées. Il veut voir concilier dans la politique le respect de ses croyances religieuses et le maintien de ses libertés. Si c’est là une lumière pour les partis, c’est aussi une lumière pour le gouvernement belge. Dans la chaleur de la dernière lutte électorale, le ministère, on le pense bien, n’a point été à l’abri des attaques de toute sorte ; quelques-unes même se sont fait jour par voie de supposition. On l’a accusé de vouloir abroger des lois qui se lient au maintien des bonnes relations de la Belgique avec la France, de préméditer des mesures agressives contre l’église, de projeter l’établissement de nouveaux impôts ou des réformes propres à