Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 12.djvu/903

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

œuvre qui a échoué sur tous les théâtres de la péninsule où elle a été représentée. Cette fois les journaux italiens avaient raison. Le dernier opéra que M. Verdi a composé à Venise, Simone Boccanegra, n’y a pas réussi, et a été encore plus mal accueilli au théâtre de la Pergola à Florence. À Milan même, assure-t-on, le gouvernement autrichien, pour éviter toute émotion publique, a pris la muse de M. Verdi sous sa protection et a défendu qu’on en relève avec trop de vivacité les défauts qui commencent à frapper les gens de goût, toujours en minorité. Cette façon de sauvegarder les œuvres de l’esprit n’est pas, comme on le pense bien, renouvelée des Grecs, mais des Prussiens. En 1821, le chef de la censure des journaux de Berlin, défendit, par une ordonnance publique, de rien blâmer dans les opéras de Spontini, qui eut l’inqualifiable faiblesse de recourir à de pareils moyens. Il en fut cruellement puni par l’opinion d’abord, et puis par l’immense succès du Freyschutz, qui vint rejeter au second rang l’auteur irascible et tout-puissant de la Vestale, de Fernand Cortez, et d’Olympie.

La musique, comme tous les arts, se compose de deux élémens à savoir les idées et la forme qui les révèle. Les idées peuvent être simples, développées, nobles ou triviales, la forme grossière, insuffisante, ou bien l’œuvre d’une main exercée. On peut remplir d’un vin exquis un vase rustique, ou bien ne boire que de la piquette dans une coupe d’or ciselée par un Benvenuto Cellini. Si je me sers de cette image, c’est pour rendre ma pensée plus, saisissante, car je n’ignore pas que, dans les arts, les idées et la forme se pénètrent d’une manière presque aussi intime que l’âme et le corps qu’elle vivifie de son souffle mystérieux. Il est aussi difficile de séparer, dans un tableau de Raphaël, le type de ces têtes divines qu’il a révélées au monde de l’art suprême de l’ouvrier qui en a tracé la forme matérielle que de dépouiller les pensées de Pascal du style incomparable, dont il les a revêtues. Cela forme un tout vivant où les délicats seuls peuvent apercevoir les coups de pinceau et les retouches de l’ouvrier.

Il y a en musique comme, en littérature, et dans toutes les manifestations plastiques de l’esprit humain, un art de bien dire et de bien exprimer les sentimens, dont on est pénétré. Cet art, très compliqué, est le résultat de trois siècles au moins de civilisation musicale. Il commence à peu près, avec Palestrina, vers la seconde moitié du XVIe siècle, et se divise en deux grands courans, la musique religieuse et la musique dramatique. La musique dramatique ne remonte pas au-delà du XVIIe siècle ; elle commence avec Alexandre Scarlatti, le chef de l’école napolitaine, dont les disciples, Leo, Durante et Pergolèse, perfectionnent l’idée mélodique, les formes du duo, du trio, et de l’harmonie d’accompagnement, qui devient plus cursive et moins compliquée qu’elle ne l’était dans la musique de chambre en général, dans les cantates, les duos, et les madrigaux à plusieurs voix. À ce canevas de musique dramatique Piccinni et Jomelli, qu’on a trop oublié, ajoutent des morceaux d’ensemble plus développés, comme le finale de la Buona figliuola, et une instrumentation plus étoffée et déjà pittoresque. Gluck survient, et imprime au drame lyrique l’empreinte de son génie pathétique. Si, quelque chose peut donner aux contemporains une idée approximative de ce que devait être la mélopée grecque dans les drames religieux et patriotiques d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, ce sont des scènes comme il y