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ver un gouvernement, qui n’est point sorti sans peine d’une situation profondément troublée, Le nouveau ministère est présidé par l’amiral Armero ; il compte dans son sein des hommes tels que MM. Mon, Martinez de la Rosa, Bermudez de Castro, qui appartiennent aux nuances les plus libérales de l’opinion conservatrice ; il n’a pu réussir à se constituer qu’après de laborieuses négociations et un interrègne doutant plus prolongé que M. Mon avait à se rendre de Rome à Madrid. Ainsi se trouve remplacé le cabinet dont le général Narvaez était le chef, et qui a dirigé pendant un an les affaires de la Péninsule.

Comment s’explique cette chute étrange et pourtant si prévue du précédent cabinet ? En dehors des derniers incidens qui ont précipité la crise, la première cause est peut-être dans l’origine de ce ministère, qui était né, il y a un an, d’une faveur du palais, et qui a disparu dès que cette faveur a cessé, bien qu’il eût obtenu l’appui des chambres. Ce n’est pas là d’ailleurs la seule cause. Certes ce n’est point l’intelligence politique qui a manqué au général Narvaez. Le duc de Valence avait par lui-même une place assez élevée dans le parti conservateur, et il s’était montré assez souvent à la hauteur du pouvoir pour que sa présence à la tête du conseil fût aussi naturelle qu’efficace. Malheureusement, si le général Narvaez était personnellement l’homme le mieux désigné par son habileté et son énergie pour diriger les affaires dans la situation difficile où se trouvait la Péninsule, il composait le reste de son ministère d’élémens relativement faibles. M. Pidal était, il est vrai, une ancienne notabilité modérée ; mais quelques autres ministres étaient peu connus, et manquaient de cet ascendant qui fait la force morale du pouvoir. Le ministre de l’intérieur notamment, M. Nocedal, a été depuis un an l’une des faiblesses du cabinet dont il faisait partie. Ses procédés hautains, sans en imposer beaucoup, n’avaient d’autre effet que de semer l’irritation, et il en résultait que le ministère, au lieu de rallier toutes les fractions du parti conservateur, comme il l’aurait voulu, n’arrivait qu’à les éloigner chaque jour davantage. La politique qu’il suivait dans la dernière session, bien que sanctionnée ostensiblement par les chambres, ne contribuait pas peu à ce résultat. En prétendant maintenir les conditions essentielles du régime parlementaire, le ministère froissait les désirs secrets des absolutistes, et en présentant des réformes constitutionnelles comme celle du sénat, il mécontentait sans profit les fractions libérales du parti conservateur. La loi sur la presse venait achever cette œuvre de dissolution du parti modéré, et bientôt le cabinet se trouvait seul, isolé, sans l’appui des chambres, avec des amis indifférens et une presse rendue hostile par la persécution. Ce n’est point là, peut-on dire, ce qui a tué le ministère Narvaez ; il est mort parce qu’il est venu se heurter contre des influences de palais. C’est la vérité ; seulement ces influences auraient été impuissantes, si le dernier cabinet avait pu s’appuyer sur un parti vigoureux et compacte groupé autour de lui, s’il avait eu cette force politique d’une grande opinion défendant une situation. C’est ainsi que le général Narvaez, avec des facultés éminentes et un ascendant personnel jusque-là incontesté, n’a pu réaliser le bien dont un gouvernement présidé par lui devait inspirer l’idée, et qu’il s’est vu réduit à lutter contre une situation devenue chaque jour plus im-