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À deux heures du matin, le lord prit congé de l’assemblée, laissant Cora sous le charme de ses récits héroïques et hippiques. Elle reçut, après le départ d’Aberlbïl, les félicitations jalouses de toutes les femmes, et se coucha tout émue. Le lendemain, au moment où elle faisait sa toilette du matin, chose de grande importance, elle reçut la lettre suivante :

« New-York, 16 août 1849.

« Chère miss Butterfly,

« Oserai-je vous demander de vouloir bien m’accompagner dans une promenade que je vais faire à Long-Island ? La mer est belle, et le steamer va partir dans une demi-heure. J’attends votre réponse au parloir.

« GEORGE, lord ABERFOÏL, comte de KILKENNY. »


Cette lettre fit battre le cœur de Cora. — Il est à moi, pensa-t-elle. À moi un lord gouverneur du Canada, un descendant de Richard Strongbow, plus noble que les Plantagenets !

Elle se hâta de s’habiller et descendit au parloir ; le comte l’attendait, et tous deux prirent la route de Long-Island. Je ne m’arrêterai pas à rapporter les discours du lord et de la belle Cora : ils ne se dirent rien qui ne fut parfaitement convenable et prévu en pareille circonstance. Aberfoïl évita même avec soin de parler d’amour. Il continua le récit de sa généalogie et des exploits de ses pères. Il fit la description de sept châteaux qu’il avait en Irlande à l’instar du roi de Bohème, et de la forteresse gaélique qu’entouraient en Écosse les eaux de son lac d’Aberfoïl. C’est là que Robert Bruce, poursuivi par les Anglais, avait trouvé un asile. Pendant cette conversation aussi instructive qu’intéressante, on dîna vaillamment, à la mode américaine, et miss Butterfly fit honneur à deux bouteilles de vin de Champagne que les domestiques du lord avaient apportées à Long-Island. Cependant ils se séparèrent sans avoir dit un seul mot de ce qui les occupait tous deux.

Le lendemain Cora reçut une nouvelle lettre :


« Chère miss Butterfly,

« Hier, bercé près de vous sur les flots de l’Océan, j’ai voulu vous déclarer mon amour. Je n’en ai pas eu le courage. Chère Cora, ma vie est en vos mains. Je vous adore. Soyez ma femme, et je serai toute ma vie, comme aujourd’hui, votre tout dévoué et passionné

« GEORGE, lord ABERFOÏL, comte de KILKENNY. »


Cora faillit s’évanouir de joie. Toutefois elle eut assez de force pour écrire le billet que voici :