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secret de la cachette se perdait par la mort ou l’exil du possesseur; mais en Europe, au moment où nous sommes, la quantité de métaux précieux qui sort des cachettes est vraisemblablement plus forte que celle qui va y chercher asile. Ainsi la thésaurisation ne saurait guère, à l’heure qu’il est, être signalée comme faisant dans la monnaie un vide que les mines auraient à combler.

Cependant, pour écarter plus péremptoirement le reproche de n’avoir pas tenu suffisamment compte de tous les débouchés possibles pour le métal extrait des nouvelles mines d’or, je supposerai que tous les ans une cinquantaine de millions soit enlevée au courant par cette voie; mais aussi on ne trouvera pas mauvais que j’impute sur ce compte la quantité d’or qui peut se perdre par divers accidens et particulièrement par les naufrages. Ces 50 millions de francs feraient en nombre rond 15,000 kilogrammes de métal.

La conclusion de cette analyse me semble aisée à tirer. De quelque côté qu’on se retourne, on n’aperçoit aucun débouché nouveau qui puisse offrir une issue proportionnée à la production extraordinaire d’or à laquelle nous assistons, de telle sorte que la valeur de ce métal ne baisse pas. Il n’y a qu’un moyen de faire écouler ces masses d’or, c’est de les monnayer et de les précipiter dans le courant de la circulation chez les peuples qui sont déjà suffisamment pourvus de monnaie de ce métal. Ce courant les absorbera, parce qu’il est pour ainsi dire insatiable : il prend et emporte tout ce qu’on y jette; mais s’il s’en empare et se l’assimile, c’est à une condition, à savoir que l’or diminue de valeur, si bien que dans les mêmes transactions où il avait suffi jusqu’ici d’une pièce d’or, il en faille une et demie, ou deux, ou plus encore. En un mot, si l’or peut entrer dans la circulation en quantité indéfinie, c’est en se soumettant à une loi rigoureuse, en se dépréciant de plus en plus.

Ici se manifeste un désavantage que l’or présente relativement à l’argent. Ce dernier métal a, en dehors de la monnaie, des emplois assez étendus. La vaisselle plate, les couverts, les timbales d’argent, les ornemens des églises en prennent de grandes quantités. L’argenture, qui se répand si fort depuis quelques années, doit finir par en prendre beaucoup : on peut croire que nous ne sommes encore qu’au début des services que doit rendre cette intéressante industrie, et par conséquent que la consommation d’argent à laquelle elle donne lieu est bien faible en comparaison de celle qu’on est fondé à prévoir. Sans doute l’or n’est pas sans avoir quelques emplois dans les arts, et il se peut que prochainement la dorure soit d’un usage presque aussi général que l’argenture; mais, pour dorer suffisamment une surface déterminée, il faut bien moins d’or qu’il ne faut d’argent pour convenablement la recouvrir de ce dernier métal; de