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les conservateurs se sont empressés au contraire de rendre hommage à la prévoyance et à l’énergie pleine de modération du général Capiaumont. Des souscriptions ont été ouvertes pour offrir au commandant militaire de Gand un témoignage de la reconnaissance publique. On répondait ainsi à l’acte du conseil communal. Telle était cette lutte étrange, lorsque le gouvernement est intervenu à son tour par un arrêté royal qui casse, comme illégale et mal fondée, la délibération du conseil de Gand, et le général Capiaumont, de son côté, en présence de cette haute et publique approbation de sa conduite, a décliné le témoignage d’estime qu’on voulait lui offrir. C’est un épilogue de la lutte provoquée par la discussion de la loi sur la charité, disions-nous. Il serait heureux en effet qu’il en fût ainsi, et que tous les partis sentissent enfin l’intérêt qu’ils ont à ne point renouveler des crises où l’autorité du régime constitutionnel est en jeu.

Voici un conflit d’un tout autre genre en Suisse. Il ne s’agit ni de la principauté de Neuchâtel, ni des jésuites, ni de vieux souvenirs du Sonderbund ; c’est une question de chemins de fer qui s’agite : c’est entre le conseil fédéral et le conseil d’état du canton de Vaud que la guerre est allumée, une guerre qui jusqu’ici n’est point sortie, il s’entend, des limites d’une dispute assez vive. Les passions religieuses ou politiques se sont un peu apaisées en Suisse, sauf peut-être dans quelques cantons comme Fribourg, où le radicalisme a été récemment vaincu après de longues luttes. À la place ont surgi des antagonismes locaux nés de la divergence des intérêts. Le point en litige est le chemin de fer de Lausanne à Berne. La question du tracé a été résolue par l’assemblée fédérale, qui a décidé que la ligne passerait à Oron ; mais lorsque la compagnie concessionnaire, obligée de commencer les travaux dans un temps donné, a voulu se mettre à l’œuvre sur le territoire de Vaud, le conseil d’état du canton, qui s’est montré toujours opposé au tracé adopté, a donné l’ordre d’interrompre tout travail, et il s’est mis en mesure de maintenir au besoin par la force l’autorité de ses prescriptions. Le conseil fédéral a immédiatement annulé l’interdiction prononcée, en menaçant de faire appuyer sa décision, ce qui n’a pas empêché le conseil d’état de Lausanne de persister. Sur quoi se fonde le conseil d’état du canton de Vaud ? Il s’appuie sur ce que les plans et devis ne lui auraient pas été communiqués, ainsi que le prescrivait la loi même qui concède le chemin de fer d’Oron ; mais en outre il invoque une raison bien plus grave : le droit qui dérive de son autonomie comme état souverain. C’est en vertu d’une autorité inaliénable et indiscutable, selon lui, qu’il a la mission de surveiller et de contrôler tout ce qui se fait sur son territoire ; en un mot, il se réfugie dans sa souveraineté et son indépendance particulières, et c’est ainsi que, même à propos d’un chemin de fer, renaît à l’improviste la vieille lutte entre l’autorité fédérale et l’indépendance cantonale, entre la centralisation et l’esprit local. C’est là, à vrai dire, ce qui donne à cet incident un certain caractère politique. Le conflit sera pacifiquement résolu, on n’en peut douter, car la lutte serait trop inégale entre la confédération tout entière et le canton de Vaud ; mais cela ne prouve-t-il pas que les vieilles questions survivent encore en Suisse ? ch. de mazade.

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V. de Mars.