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du cœur. Tu t’efforçais jadis d’ajouter aux splendeurs de ta race par d’autres splendeurs, et de surpasser ta noblesse par tes dignités ; tu pensais qu’il ne suffisait pas à un homme d’égaler les autres, qu’il devait s’élever au-dessus : eh bien ! te voilà entré dans une condition où, si élevé que tu sois, tu ne dois te croire supérieur à personne, mais plutôt te placer au-dessous des moindres de ceux qui te sont soumis ; plus l’humilité de Jésus-Christ t’environnera, plus tu seras honoré.

« Oui, il faut que tu baises les pieds de ceux sur la tête desquels tu aurais dédaigné naguère de placer les tiens. Ton travail sera désormais de te faire le serviteur de tous, toi jadis le maître de tous, et de t’incliner devant les autres, toi qui les foulais en passant, non par orgueil sans doute, mais par un effet de la majesté (j’allais dire la vanité) de tes dignités passées. Autant tu devançais le reste des hommes, autant il te faut reculer devant eux.

« Tâche aussi d’appliquer aux choses divines ce génie qui t’a valu tant de gloire et de puissance dans les choses humaines. Fais que ces mêmes peuples qui recueillaient jadis les roses de ta parole dans les fêtes du monde recueillent aujourd’hui de ta bouche dans les fêtes du Christ les épines tombées de la tête du crucifié ; que l’éloquence du prêtre sache leur inculquer les leçons de la discipline céleste, comme naguère celle du magistrat leur enseignait les règles de la discipline civile !

« Pour moi, qui t’ai tant aimé quand tu suivais les arides déserts du siècle, dans quelle mesure penses-tu que mon affection s’accroît quand je te vois suivre les fertiles sentiers du ciel ? Je sens que je me meurs et que ma fin est proche ; mais en quittant la vie, je ne croirai point mourir, puisque je revivrai en toi et que je te laisse à l’église…

« Courage, toi jadis mon ami, aujourd’hui mon frère ! Ce dernier titre efface le premier, et je ne veux plus me souvenir de mon ancienne affection, que viennent resserrer les liens d’une charité si étroite et si durable. Oh ! si Dieu voulait que je pusse t’embrasser ! Mais ce que je ne puis faire de corps, je le fais d’esprit, et en présence du Christ, je serre dans mes bras avec respect non plus le préfet de la république, mais celui de l’église, mon fils par l’âge, mon frère par la dignité, mon père par le mérite. Prie donc pour moi afin que, m’éteignant dans le Seigneur, j’achève l’œuvre qu’il m’a imposée, et que je consacre à ne servir que lui les courts momens qui me restent. Combien n’en ai-je pas perdu, hélas ! à des œuvres inutiles ou mauvaises ! mais la miséricorde du Seigneur est inépuisable. — Souviens-toi de moi. »

Cette lettre fut comme un baume sur les blessures de Sidoine ;