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soutien qu’un stoïcisme moral, très noble et très élevé sans doute, mais sans espérance possible d’une destinée supérieure. — Chez M. Strauss, le travail de la libre recherche semble fini, ou du moins le célèbre écrivain, s’il ne change pas complètement de direction, sait qu’il n’a plus rien d’essentiel à trouver. Il pourra faire encore, comme il le fait depuis dix ans, de précieuses études de détail ; mais il, a été jusqu’au bout de son système : la route qu’il suit ne lui réserve plus ni découvertes ni surprises. M. Renan au contraire est en marche et ne sait pas encore où il arrivera.

Quel est donc en définitive le système de M. Strauss ? Le panthéisme. En vain a-t-il essayé de s’en débarrasser (dans la Vie de Schubart par exemple) ; il n’a pu y réussir. M. Renan est spiritualiste ; il croit à la vie de l’âme, à sa destinée immortelle, à ses rapports avec l’esprit incompréhensible, avec l’être des êtres que nous appelons Dieu, et de là l’intérêt que présentent ses méditations philosophiques. Il a parlé quelque part en termes excellens de « ces natures qui réservent à l’histoire des secrets inattendus, natures flexibles et riches qui, supérieures à leur action, à leur destinée, à leurs opinions mêmes, ne se sont livrées au monde qu’à demi, et ont toujours gardé un côté mystérieux par lequel elles ont communiqué librement avec l’infini. » On pourrait appliquer ces paroles à l’auteur des Études d’histoire religieuse. Voilà comment M. Ernest Renan a essayé de rectifier la science allemande. Il a rouvert les sources du sentiment religieux, sans lequel l’exégèse ne peut être qu’une science morte ; il a repris l’œuvre de la critique en y joignant, avec la netteté de la méthode, l’élévation du spiritualisme français. Tel est du moins le but qu’il s’est proposé. A-t-il réussi à l’atteindre ? C’est la question à laquelle nous devons tâcher de répondre.

Si, j’essaie de résumer en peu de mots les résultats auxquels M. Renan est parvenu, c’est-à-dire l’état actuel de sa pensée, qui sera peut-être gravement modifié dans une phase ultérieure de son intelligence, voici la formule qui me paraît la plus exacte.

L’esprit humain parcourt deux périodes absolument distinctes, l’une, où la spontanéité domine, l’autre où la réflexion prend le dessus. Nous sommes désormais trop éloignés de l’époque où toutes nos facultés s’exerçaient spontanément pour nous rendre un compte rigoureux des richesses primitives de notre nature. À qui veut se replacer pour ainsi dire dans les conditions de cette existence naïvement épanouie, à qui veut l’interroger de près et en marquer tous les caractères, il faut une extrême délicatesse d’analyse. La psychologie doit renoncer ici à ses habitudes modernes, ou plutôt elle doit se compléter par des études nouvelles. Aux données abstraites que fournit l’étude de l’âme, il faut joindre des études réelles, concrètes, l’étude des langues par exemple, l’histoire de leurs origines