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Je me laissai tomber parmi l’herbe mouillée,
Et je restai couché sur le bord du fossé ;
Un blond soleil dorait la prairie émaillée,
Les oiseaux réjouis chantaient sous la feuillée,
Les bruyères ouvraient leur calice rosé.

Je sentis en mon âme une douleur mortelle ;
Que me faisaient à moi ces chants, ces prés en fleur,
Les rayons du soleil, la terre jeune et belle,
Quand la chaise maudite emportait avec elle
Ma joie et mes amours, ma jeunesse et mon cœur ?…


VII – LA PLAINTE D’AIMEE


Dans un pauvre pays du nord de l’Allemagne,
Sur les confins d’un bourg, moitié ville et campagne,
S’élève, solitaire et sombre, une maison ;
La mer non loin de là dit sa plainte éternelle,
Et la mouette grise effleure de son aile
Les rochers dénudés qui bordent l’horizon.

C’est dans ce triste lieu que se mourait Aimée.
Au fond de sa cellule à toute heure enfermée,
Quand sur le toit moussu glissait l’ombre du soir,
Seule et se complaisant dans son âpre souffrance,
Les yeux toujours tournés vers l’étendue immense,
À sa fenêtre ouverte elle venait s’asseoir.

La lune sur les flots traçait de blancs sillages ;
Rapides, effarés, on voyait les nuages,
Comme un pâle troupeau, se confondre et courir ;
Le vent faisait craquer la maison isolée.
 — O Dieu, Dieu de merci, murmurait l’exilée,
Je suis lasse, bien lasse, et je voudrais mourir !…

Ce noir logis semblait hanté des mauvais rêves,
Les vagues mugissaient en roulant sur les grèves,
Le vent d’hiver pleurait dans les longs corridors ;
Les portes sur leurs gonds criaient : dans la grand’salle
Elle entendait des pas retentir sur la dalle
Et des voix d’autrefois l’appelaient au dehors…

En face des vieux murs, dans la plaine déserte,
Seul, un pin balançait sa tête toujours verte,
Feuillage désolé, tronc noueux, gris rameaux.
Quand la lune, à minuit, vers la vague calmée