Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/882

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je ne m’attendais pas à une nouvelle épreuve. Le vieillard qui me tenait ne lâchait pas si facilement sa proie. Il me fallut admirer l’une après l’autre toutes les porcelaines de la collection, subir la biographie de chacune des tasses, à savoir leur origine, leur provenance, le prix qu’elles avaient coûté, le taux auquel elles devaient arriver, enfin les mille manies qu’enfante la possession. À deux heures du matin seulement, nous passions dans la bibliothèque, fort en ordre. Du premier coup, le vieillard tomba sur un paquet de brochures, au milieu desquelles se trouvait le catalogue de la galerie de M. T… J’avoue que je fus pris d’un certain frémissement de joie en apercevant ce trésor, plus précieux pour moi que tous les palimpsestes du moyen âge. Je tenais mes coudes serrés au corps pour empêcher mes mains, de s’élancer en avant, car le vieillard apportait dans tous ses actes une sage lenteur. Quand il tint la brochure, il fallut chercher les lunettes, se moucher, prendre du tabac, se tasser dans le fauteuil, et divers autres incidens qui me faisaient bouillir le sang. Le vieillard avait deviné ma curiosité, et pour mieux me faire goûter l’audition du catalogue, il se mettait en scène comme un acteur consommé qui aime à faire attendre son public. Pour moi, j’aurais crié : La brochure ! comme à la Porte-Saint-Martin les gens du parterre crient : La toile ! Après une lente lecture du catalogue, que le vieillard examina d’abord à son aise, comme s’il préparait ses inflexions de voix, le traître commença par me lire diverses nomenclatures sans importance. La première salle n’avait pas offert à M. T… l’occasion de se signaler : il gardait ses effets de style pour les portraits importuns ; mais tout à coup à ces explications parfaitement claires succéda une phrase un peu trouble : — Nous y voilà, dit le vieillard, qui lut : L’exploré ne s’agitant plus, l’idée-mère appuiera nos gestes sur le fond d’un regard meilleur que n’a point fixé l’hâte ingrat.

— Oh ! m’écriai-je.

— Ceci, dit le vieillard, est une phrase tirée de la préface ; mais nous allons passer à des fragmens plus clairs.

— Je ne demande pas mieux.

— Voici ce que dit M. T… d’un de ses portraits : Le profil n° 2. est très exact surtout par la localisée blonde. Il s’y révèle déjà comme expression ce que j’appellerai le croisé de la pensée.

— Voulez-vous me permettre ? dis-je en prenant la brochure ; je ne comprends pas, il faut que je lise.

M. T… analysait sa galerie tout entière : dans son portrait au fauteuil, il admirait « sans limites le double drame de l’homme et du spectacle pittoresque. La main seule d’en bas est sublime ! » s’écriait-il. Quant au portrait en Christ, voici ce qu’il en pensait : « La