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Elle l’aidera, s’il y tient beaucoup, — et c’est pousser bien loin cette espèce de connivence, — à se cacher de sa mère, à établir avec la bonne vieille dame, sous un nom supposé, des rapports dont la seule idée effaroucherait la vertu provinciale de lady Woodvil, si elle pouvait un instant soupçonner à qui elle adresse la parole. Mais n’allez pas en conclure que l’imprudente Harriet se laisse compromettre au-delà du nécessaire, et n’ayez pas peur que l’audacieux Dorimant puisse impunément s’émanciper auprès d’elle.

Il a d’ailleurs, en attendant qu’il la rencontre, bon nombre d’affaires sur les bras : — une maîtresse à éconduire, une intrigue déjà nouée à faire aboutir, — mistress Loveit à quitter, et à prendre mistress Belinda. Nan congédiée, il causera de tout ceci avec son ami Medley. Remarquez ce nom à peine changé, qui rend l’allusion transparente. Medley est là pour Sedley, tout comme Dorimant pour Rochester. De même pouvons-nous croire que mistress Loveit, cette beauté un peu brutale, impérieuse, colère, vrai dragon d’amour, sinon de vertu, nous représente la Castlemaine ou la Shrewsbury[1], et Belinda, la mielleuse et perfide Belinda, toute confite en petites trahisons, de l’amitié faisant franche litière sous les pas de l’amour, pourrait bien être la blonde, la jolie Chesterfield. Grands yeux bleus, manières engageantes, esprit amusant et vif, cœur « toujours ouvert aux tendres engagemens, » mais « ni scrupuleux sur la constance, ni délicat sur la sincérité ; » véritablement il n’y manque pas grand’chose[2].

Conservons leurs vrais noms à nos deux interlocuteurs, et nous aurons la conversation suivante, à laquelle Etheredge a fort bien pu assister :


« CHARLES SEDLEY. — Eh bien ! Rochester, y a-t-il longtemps que vous n’avez vu votre « pis-aller, » comme vous dites,… vous savez,… la Shrewsbury ?

  1. La Shrewsbury est un des types féminins de cette époque singulière. C’est elle que Grammont nous montre passant des bras de l’indiscret Killegrew dans ceux de Buckingham, stimulé par les révélations intimes de son trop heureux ami. Lord Shrewsbury, qui jusqu’alors avait supporté patiemment ses infortunes conjugales, crut que l’éclat de celle-ci demandait réparation. Il fit appeler le duc, qui le tua sur place. On raconte, — mais ni Evelyn, ni Pepys ne mentionnent ce curieux détail, — que la Shrewsbury, déguisée en page et tenant le cheval de son amant, assistait au duel, à l’issue duquel le vainqueur la ramena publiquement chez lui. La duchesse de Buckingham (fille du fameux Fairfax, — une ragote, dit Hamilton, qui n’avait pas eu d’enfans) osa s’en plaindre à son époux, et lui remontrer qu’elle ne pouvait décemment habiter sous le même toit avec lady Shrewsbury : « Vous avez raison, madame, lui répondit effrontément le duc, et j’y avais déjà songé. Votre carrosse vous attend à la porte pour vous reconduire chez vos parens. »
  2. Il y manque cependant l’exactitude chronologique, peu importante, il est vrai, en pareille matière. Lady Chesterfield, fille du duc d’Ormond, mourut en 1666, époque où Rochester venait à peine de faire son entrée à la cour.