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II

À un prince comme Charles II, — si bien disposé à se laisser entraîner, gouverner, dominer, pourvu qu’on sût l’amuser et lui plaire, — un débutant comme Rochester convenait merveilleusement. Il n’avait pas à craindre de ce nouveau-venu les brusqueries de Buckingham, qui menait son maître de haute lutte, by briskness, dit Samuel Pepys. Rochester, violent lui aussi, — car dès ses débuts à la cour il battit Killegrew devant le roi et obtint sa grâce séance tenante, — ne pouvait cependant faire au monarque ces scènes scandaleuses que multipliait la Castlemaine au déclin de sa faveur, et qui transformaient cette « Médée furieuse » en « quelque chose d’approchant ses dragons, » s’il faut en croire le spirituel Hamilton. Il était beau, — ses portraits l’attestent, — spirituel, — ses épigrammes en font foi, — et possédait assez de connaissances littéraires pour devenir en quelques années, ainsi que nous le verrons, l’arbitre presque absolu du goût poétique. Rien d’étonnant donc à le voir comblé de faveurs aussitôt qu’il parut, et d’ailleurs, outre que ces faveurs semblaient dues au fils de son père, il s’y était créé des titres personnels par des services périlleux dont il eût fort bien pu se croire dispensé.

Un heureux hasard en effet ou une inspiration heureuse l’avait conduit en 1665, aussitôt après ses débuts à la cour, sur les vaisseaux que le comte de Sandwich et sir Edward Spragge promenaient le long des côtes de Hollande, pour venger les griefs du commerce anglais. La guerre commençait alors, qui devait, dans ses sanglantes alternatives, tantôt faire perdre aux Hollandais cent cinquante navires marchands que l’amiral Holmes détruisit dans le port de Vlie (une affaire comme celle de Sinope), et tantôt amener Ruyter, par deux fois, dans les eaux de la Tamise et de la Medway. Rochester en cette occasion, et dans deux combats différens, montra une rare intrépidité. À l’attaque du port de Bergen (côtes de Norvège), monté sur le Revenge, que commandait sir Thomas Tiddeman, il se fit remarquer par son sang-froid. L’année suivante, au combat du 3 juin, fatal à un grand nombre de ces jeunes courtisans qui, comme lui, servaient en volontaires et pour l’honneur du drapeau, on le vit traverser sur un petit bateau, tandis que les boulets sillonnaient la mer dans toutes les directions, le gros de la flotte ennemie. Nous constaterons plus tard que, dans des querelles privées, il démentit ces glorieux débuts, et qu’il fut permis à ses antagonistes littéraires de rendre à son courage les épigrammes qu’il décochait à leur esprit ; mais ceci n’arriva que lorsque le bouillant jeune homme de