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qu’il faut bien nommer les héritiers de sa doctrine, il tournait les obstacles qu’il ne pouvait affronter, s’en remettant au temps, parce qu’il croyait sa pensée appelée à se perpétuer dans sa race. Colbert dut donc se contenter de négocier une sorte d’union douanière, comme nous dirions aujourd’hui, entre un certain nombre de provinces limitrophes. Plus tard, pour atténuer quelque peu les inconvéniens de l’isolement où persistaient à se maintenir les provinces dites étrangères et pour favoriser le commerce extérieur, il créa des entrepôts pour les ports maritimes, dans lesquels s’opérait, en cas d’exportation, la restitution intégrale des droits acquittés à l’intérieur du royaume. Ainsi l’intelligence du pouvoir triomphait de la puissance des préjugés, et l’exportation s’étendait malgré des obstacles locaux tellement étranges, que nous avons aujourd’hui quelque peine à en admettre même l’existence. La Savonnerie, Aubusson et Beauvais livraient à l’Europe des tapis plus beaux que ceux de l’Orient ; l’art des Gobelins rivalisait avec celui de l’Italie ; nos glaces faisaient oublier celles de Venise, et nos dentelles soutenaient la concurrence avec les plus beaux points de Flandre et d’Angleterre. De grandes compagnies organisées par l’état avec les souscriptions personnelles du roi, des princes et de toute la cour, avec un large concours financier imposé aux fonctionnaires, embrassaient sur tous les points du globe, depuis les Indes jusqu’au Canada, des opérations auxquelles il ne manqua pour réussir que le stimulant de l’esprit de liberté. Au dedans du royaume, le commerce maritime était déclaré compatible avec la noblesse ; au dehors, il rencontrait un appui toujours présent dans le nombreux corps consulaire dont Colbert venait de déterminer les devoirs et de régler les attributions.


III

C’étaient là certainement des travaux magnifiques et des œuvres fécondes. Ces réformes étaient loin de suffire cependant à un prince aussi ardent pour le travail que pour le plaisir, et chez lequel le goût des détails avait pris le caractère d’une sorte de passion. Louis XIV se sentait mal à l’aise dans son royaume au milieu de tant de lois et de coutumes que les siècles y avaient laissées comme une sorte de protestation contre sa toute-puissance ; il aurait cru manquer à l’une des parties les plus importantes de son œuvre royale, s’il n’avait préparé du moins cette unité de la législation civile, corollaire obligé de l’unité dans la nation comme de l’unité dans le pouvoir.

Trois élémens distincts par leur origine comme par leur esprit composaient alors la magistrature française, — les justices seigneuriales,