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mit à prêcher l’Évangile aux peuplades qui l’avaient si bien reçu. À défaut de résultats plus sérieux, le révérend missionnaire recueillit du moins les témoignages d’un respect naïf qui le touchèrent. Délivré bientôt de la fièvre, il partit pour explorer le Sescheké ou Zambèze. La reconnaissance du cours de ce grand fleuve importait beaucoup à la science géographique. Le missionnaire, admirablement secondé par l’aménité de ses hôtes, organisa une flottille de trente-trois canots, montés par cent soixante hommes, et descendit le Chobé jusqu’à son confluent avec le fleuve. Parvenu, au Sescheké, il trouva un magnifique cours d’eau, large souvent de plus d’un mille[1] et bordé d’impénétrables forêts. De grandes îles coupaient le fleuve ; d’immenses racines pendaient dans l’eau ; des masses de verdure parées des teintes les plus variées embellissaient le paysage ; partout la végétation de l’Afrique tropicale se déployait dans sa merveilleuse splendeur, et les gigantesques animaux qui peuplaient cette solitude, l’hippopotame et le crocodile, laissaient voir du milieu des roseaux leur tête hideuse et leur masse informe.

Le cours du Zambèze est interrompu par des cataractes et des rapides qui rendent en plus d’un endroit la navigation difficile. Parvenu au seizième parallèle, le voyageur vit les hautes rives boisées, qui jusque-là avaient dessiné le cours de la rivière, s’écarter, prendre la forme onduleuse de collines et courir de l’est à l’ouest en formant une vallée, de cent milles environ de largeur, qui est annuellement submergée, à l’exception de petits tertres et d’îlots sur lesquels la tribu des Barotsi a installé ses villages nombreux, mais peu considérables. Les pâturages de la vallée sont d’une étonnante richesse ; on y voit des herbes hautes de douze pieds et dont la tige a un pouce de diamètre. Les arbres sont peu nombreux. Sur les hauteurs voisines, on cultive du blé, du maïs, des cannes à sucre, des patates, des ignames, du manioc et nombre d’autres plantes alimentaires. Aussi la vie est-elle facile dans toute cette partie de l’Afrique, et les indigènes y jouissent d’un bien-être qui a contribué au développement de leurs instincts bienveillans et de leur intelligence. Ces vallées, alternativement submergées par les eaux des fleuves et dévorées par les ardeurs du soleil, n’ont cependant pas échappé au terrible fléau de l’Afrique : elles sont insalubres et fiévreuses.

Après avoir remonté le Sescheké à travers tout le pays des Barotsi, Livingston retourna au campement de Sekelétu, qu’il prit pour point de départ d’un grand voyage médité depuis deux ans ; c’est vers Saint-Paul de Loanda qu’il se dirigea en quittant Sekelétu. Parti en novembre 1853, il arriva en avril 1854 dans le pays à demi fabuleux de Cassange, sur lequel on ne possédait que les plus vagues renseignemens. Un fait qui mérite d’être noté, c’est qu’il trouvait les noirs plus défians et moins hospitaliers à mesure qu’il se rapprochait des établissement portugais. Toutefois le voyageur poursuivit son itinéraire avec un courage supérieur à tous les obstacles, et au mois de juin 1854 le bulletin officiel d’Angola apprit au monde savant que le docteur avait atteint le but de ses persévérantes fatigues : il venait d’entrer sain et sauf, suivi de quatre domestiques, dans Saint-Paul de Loanda.

  1. Le mille anglais est de 1,610 mètres.