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proportionnées à la force de la pensée dans un homme aussi exercé à la parole que le seigneur de La Roche. Quelle fierté dans ce rappel à la prérogative des ancêtres, qui savaient maintenir leur liberté, parce qu’ils ne la jugeaient pas plus haute qu’eux-mêmes ! On a prétendu que ce discours ne tendait qu’à la liberté purement aristocratique, et qu’il était plus féodal que libéral. Sans doute, si la nation avait pu dès-lors se faire sa propre législation, la noblesse y aurait pris la part que l’état même de la société lui assignait : c’était justice et nécessité ; mais rien dans ce qu’on vient de lire n’annonce l’orgueil de caste : c’est à la nation entière que la souveraineté est attribuée, et, bien loin d’écarter ou de subordonner le tiers-état, l’orateur se croit au contraire obligé d’avertir qu’il n’en exclut pas les grands. À cette époque, l’esprit exclusif n’avait point encore dans la noblesse cette âpreté qui la conduisit à sa perte. Ce malheur ne lui vint que quand de vains et injurieux privilèges lui tinrent lieu de droits politiques. Que serait donc devenue la noblesse française, si à ce moment critique de la fin du moyen âge, où semblait s’ouvrir une bifurcation de deux chemins courant l’un vers la liberté, l’autre vers la monarchie absolue, il eût été possible qu’elle entrât dans le premier, suivie et entourée de toute la nation ? Qu’on se représente une aristocratie délibérante dans laquelle auraient brillé tour à tour, comme orateurs ou ministres, tous ces hommes qui, pendant les trois siècles suivans, se sont illustrés dans la guerre, dans les lettres, dans la diplomatie, ou ont consumé misérablement de grandes facultés dans les factions et les intrigues ! Descendus par la fidélité à la servitude, humiliés dans la domesticité de Versailles, ils éclipsaient encore toutes les aristocraties de l’Europe. Réunis dans un sénat et organes d’un pays libre, ils auraient continué sous de meilleures formes leurs fières traditions, et le peuple, au lieu de les détruire, les eût écoutés avec orgueil.


Maintenant, pour conclure, nous n’avons qu’à rappeler notre point de départ. Il y a dans notre histoire tout un côté qu’oublie la préoccupation de querelles éteintes, ou que la partialité dissimule, et c’est celui qu’il importe aujourd’hui de mettre dans le plus haut relief. Quelle que soit la forme que doive affecter un jour chez nous la liberté publique, à laquelle il faut toujours croire d’une foi inébranlable, elle ne s’affermira que par le concours de tous et par l’union de tous les souvenirs. Cette union est possible, car la liberté est en France un souvenir commun à tous, qui a pu s’obscurcir, mais qui n’a cessé de palpiter sous les malheurs publics, et que les erreurs et les malentendus des derniers siècles ne doivent point étouffer. Il est nécessaire qu’une nation se croie solidaire d’elle-même,