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jamais, lors même qu’il se livre un peu au mouvement oratoire, par quels degrés cette punition arrive. Elle commence par l’enivrement du pouvoir même. Quand le moment est venu où Dieu veut montrer sa force et sa justice, les « mal-adventures » approchent, « et alors premièrement il leur diminue le sens, il trouble leur maison et la permet de tomber en division et murmures ; le prince fuit les conseils et compagnies des sages, et en élève de tout neufs mal sages, mal raisonnables, violens, flatteurs, et qui lui complaisent à ce qu’il dit. S’il veut imposer un denier, ils disent deux ; s’il menace un homme, ils disent qu’il le faut pendre, et que surtout il se fasse craindre. » Ceux que les nouveau-venus auront ainsi « chassés et déboutés, et qui par longues années auront servi, et qui ont accointances et amitiés en sa terre, » forment une classe de mécontens qui se multiplie. Pensez-vous qu’un prince imprudent et mal entouré comprenne le danger de ces divisions ? « Il ne s’en trouve point pis disné, ni pis couché ; » son entourage n’en est que plus brillant des dépouilles de ses adversaires, données à ses amis. Mais « à l’heure qu’il y pensera le moins, Dieu luy fera sourdre un ennemy, dont par adventure jamais il ne se fust advisé. Lors lui naîtront les pensées et les suspicions de ceux qu’il aura offensés, » il redoutera même les plus inoffensifs, et bientôt « il préparera la force. » Commynes poursuit ainsi, montrant par les exemples contemporains pris dans les maisons d’York et de Lancastre, les excès et les désastres de la force, et il conclut enfin, en revenant aux considérations plus générales par lesquelles il a commencé, que, « vu la mauvaistié des hommes, et par espécial des grands, qui ne se connoissent ni ne croient point qu’il y ait un Dieu, il est nécessaire que chacun seigneur et prince ait son contraire, pour le tenir en crainte et humilité ; ou autrement, ajoute-t-il, nul ne pourra sans eux, ni auprès d’eux. »

Dans ces considérations, un peu diffuses et assez mal liées, dont nous ne faisons que suivre l’idée principale, on voit que Commynes ne puise le droit national ni dans des axiomes abstraits, ni dans des hypothèses, ni dans des coutumes. Les yeux ouverts sur l’histoire universelle, il y reconnaît ce fait constant, que l’homme en possession d’un pouvoir sans frein et dégagé de toute crainte ne s’arrête jamais de lui-même jusqu’à ce qu’il se heurte contre une force contraire. Il résulte de là que, pour prévenir ces chocs, il faut accepter des « opposites » régulièrement établis, afin d’ôter à l’homme politique ce qu’il a de trop individuel, et de faire surgir par la discussion le principe de justice pour remplacer le principe de volonté. Dieu apparaît au sommet de ces réflexions, écoutant « la plainte et clameur du peuple, » et punissant par l’aveuglement et la ruine