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Coblentz y sont spirituellement associés aux hallucinations des romantiques allemands. Ce chevalier qui prête son corps à un disciple de Faust, ce corps qui sert d’enveloppe tour à tour à un gentilhomme de Versailles et à un candide enfant de la Germanie, c’est la personnification de l’auteur lui-même, alors qu’il poursuivait à sa manière l’alliance de l’Allemagne et de la France. Par malheur, à la fin du récit, le corps du chevalier tombe dans le Rhin et n’en sort plus. Est-ce là encore un symbole ? J’ai bien peur en effet que le spirituel écrivain ne nous ait donné ici, sans le vouloir, la réfutation de ses propres rêveries. L’Allemagne n’est pas seulement le pays d’Hoffmann et des illuminés ; l’union de l’Allemagne et de la France, si désirable à tous égards, ne pouvait être accomplie par le chevalier de Tréfleur, et ceux qui la tenteraient comme lui seraient sûrs de se noyer dans le Rhin. Le romantisme de Henri de Kleist et d’Hoffmann n’a été qu’une crise dans la poésie de nos voisins, une crise qui n’a pas été inutile au moment où elle s’est produite, qui est aujourd’hui encore curieuse à étudier, mais d’où l’esprit germanique est sorti depuis longtemps. Si vous voulez trouver l’inspiration allemande avec son charme le plus vrai, son originalité la plus féconde, ce n’est pas chez Hoffmann qu’il faut la chercher.

Après cette excursion aux bords du Rhin, M. de Molènes est revenu en France, il est revenu à son cher XVIIIe siècle, et, rencontrant sur le pavé de Paris un jeune gentilhomme possédé d’un immense désir d’aventures, aussitôt il s’est embarqué avec lui sur l’Océan pour chercher fortune au bout du monde. Remarquez cette inquiétude, ce besoin de mouvement, cette recherche incessante d’un idéal qui s’enfuit toujours ; l’enthousiasme de M. de Molènes n’a pas encore trouvé son objet. Déjà cependant il commence à soupçonner que l’action lui vaut mieux que la rêverie. Tout à l’heure il poursuivait la poésie du mysticisme, voici maintenant la poésie de la mer. Briolan (c’est le nom de son héros) parcourt les mers lointaines sans savoir où il va. Ce n’est pas un de ces hardis flibustiers français qui, dès le XVIIe siècle, ont contribué à l’établissement de nos colonies ; ce n’est pas le corsaire de Byron, révolté contre la société et le genre humain ; c’est un rêveur qui a besoin de bruit et d’action pour tromper le tourment de son âme. Quel est le sens de ces pérégrinations inouïes ? Pourquoi ces duels, ces batailles, ces aventures amoureuses chez les sauvages, ces prouesses de chevalerie au milieu des Caraïbes ? Briolan l’ignore lui-même, ou du moins les explications qu’il nous en donne n’expliquent absolument rien. Ce n’est pas pour se distraire d’un amour malheureux qu’il s’est jeté dans cette vie extravagante ; non, il est amoureux de la mer, des vagues qui l’emportent, de la tempête qui secoue son navire, du danger qu’il brave sans