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Ainsi dans un cœur troublé le repos naît de l’excès même de l’émotion et de l’inquiétude. Tandis que sa fille sommeillait, Walther prêtait une oreille attentive aux bruits du dehors, cherchant à deviner ce qui se passait sur le pont. La tempête se déclarait dans toute sa force. Interroger un capitaine en pareille circonstance, lui demander ce qu’il pense du temps, c’est manquer de tact et s’exposer à des réponses désagréables. Depuis la veille, le vieux marin qui commandait la Cérès avait pris sa figure de gros temps, et personne n’osait lui adresser la parole. Appelés par lui à l’arrière du navire, les matelots avaient reçu une ration de vieux rhum, puis ils s’étaient retirés sans rien dire dans leurs cadres pour y prendre un peu de repos. Le navire, mis à la cape, les voiles serrées, n’avait plus besoin d’être manœuvré. Deux officiers veillaient seuls auprès de la roue du gouvernail, fortement amarrée, de manière à ce que la proue se présentât toujours droit à la vague et en amortît la violence en la divisant. Néanmoins le navire fatiguait beaucoup par l’effet du roulis ; une voie d’eau s’était déclarée dans la cale, et les matelas que l’on avait cloués dessus pour l’étancher ne pouvaient résister bien longtemps. Cet état de choses donnait beaucoup à penser au capitaine. Pendant que l’équipage se reposait, il s’enferma dans sa chambre pour consulter ses cartes, interroger son baromètre, et estimer par des calculs approximatifs la route qu’avait parcourue la Cérès depuis qu’elle ne suivait plus une ligne droite. Après quelques instants, il appela le mousse : — Va me chercher le grand passager, à barbe rousse, qui a pompé toute la matinée avec les matelots ; va vite !

Le mousse, pareil à l’officier d’état-major qui va porter un ordre pendant le combat, eut à éviter plus d’une fois les coups de l’ennemi ; la mer déferlait sur le navire de minute en minute ; enfin il arriva dans l’entrepont et accomplit son message. Ludolph s’empressa de répondre à l’appel qui lui était fait.

— Jeune homme, lui dit le capitaine, vous êtes actif et courageux ; de plus vous savez travailler le bois ?

— Le bois et le fer, capitaine ; je puis confectionner tout le mécanisme d’un moulin à eau, depuis la roue jusqu’au rouet d’engrenage, et fabriquer une machine à filer la laine.

— Écoutez-moi ; le navire fait beaucoup d’eau, vous avez assez pompé pour le savoir. Il se peut que la bourrasque passe demain, l’automne commence à peine : en cette saison, les bourrasques ne durent guère que trois jours ; mais si la tempête se prolonge, la Cérès ne tiendra pas.

— J’ai visité les bordages, capitaine ; il y en a de pourris…

— Je le sais, reprit vivement le capitaine : la Cérès n’est plus jeune ! Si le temps ne s’est pas amélioré demain matin, il faudra