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assise sur le banc, devant la dunette, à côté de son père. Max, qui avait pris place en face d’eux, sur un pliant, leur montrait du doigt, en les nommant, les brillantes constellations répandues sur la voûte du ciel.

— Il y a des peuples orientaux qui ont placé le séjour des mânes dans les astres, disait-il en donnant à sa voix un ton légèrement emphatique ; aussi ne contemplent-ils point sans respect ces mondes lumineux qui roulent à travers l’espace avec la solennité et le silence qui conviennent à la mort.

— Cette croyance rend-elle moins pénible pour les peuples qui la professent la séparation d’avec les êtres qui leur sont chers ? demanda le père de Gretchen.

— Sans doute, répliqua Max. Durant les nuits sereines, à l’heure où les astres se lèvent, il leur semble voir leurs ancêtres qui se penchent vers eux pour les encourager dans leurs travaux, et quand le soleil efface ces clartés nocturnes, ils reprennent avec moins de chagrin les labeurs de la journée.

— Oh ! non, s’écria Gretchen, ne me dites pas que ces belles étoiles sont les yeux des morts qui nous regardent ; j’en aurais trop peur !

— Eh bien ! reprit Max, si ces lueurs vacillantes vous effraient, regardez l’astre des nuits, — celui que Goethe nomme la sœur de la première lumière[1], — regardez-le sortir mystérieusement du sein des flots et découper sur la mer qui nous environne l’ombre de nos voiles ! Oh ! la lune est douce à contempler ! Pure et étincelante comme l’argent, elle ne repousse pas le regard qui l’admire… Voyez comme elle glisse timidement à travers l’espace ! L’avons-nous donc effrayée qu’elle disparaît sous un nuage ?…


Bist, du, o Schone, mir entflohn !…


À ces mots, qu’il avait prononcés en se penchant vers elle et à demi-voix, Gretchen fit un geste de la main comme pour lui imposer silence. Max comprit que ce vers, jeté par lui aux échos de la prairie peu de jours avant le départ, avait été entendu, et il reprit avec l’accent de la joie :

— Chantons-la donc, cette jolie romance du grand poète : chantons-la à deux voix. Dans notre Allemagne, tout le monde est musicien, et je suis sûr que M. Walther fera sa partie.

Sans attendre la réponse du vieillard, Max se mit à chanter les couplets de la ballade. Gretchen ignorait les paroles, mais elle connaissait l’air. Le duo, commencé d’abord timidement, se continua

  1. Schwester von dem ersten Licht…