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pense qu’il agit sagement. Il se sépare en termes très nets de ces novateurs étourdis, mais il n’essaie pas de les ramener au respect de la tradition, il les tient pour inguérissables. Que dire en effet à des hommes qui se trompent et refusent de s’éclairer par la discussion, qui dédaignent l’antiquité sans la connaître ? Aussi n’est-ce pas à eux que l’auteur s’adresse. À ses yeux, l’union des arts et de l’industrie n’est pas aujourd’hui ce qu’elle devrait être ; peut-on la rendre plus intime et plus féconde ? En voyant ce qu’elle a été, nous trouverons sans peine la solution de cette question. À cet égard, M. de Laborde est bien informé ; le précis qu’il nous donne sera lu avec intérêt par tous ceux qui ont à cœur la réforme du goût public. Il a beaucoup vu par lui-même, et il parle d’une manière pertinente des choses mêmes qu’il n’a pas vues, parce qu’il a pris la peine de recueillir et de comparer les témoignages.

Si les notions qu’il a réunies sur les relations de l’art et de l’industrie se propageaient parmi les industriels et les artistes, le luxe moderne ne tarderait pas à présenter une physionomie toute nouvelle ; on ne verrait plus, ou du moins on verrait plus rarement l’extravagance acceptée comme une preuve d’imagination. À mon avis, le principal mérite du précis écrit par M. de Laborde est d’avoir revendiqué hautement les droits de la tradition. Les détails qu’il nous offre sur l’art et l’industrie, depuis les premiers temps historiques jusqu’à nos jours, sont précieux sans doute ; cependant ces détails perdraient une partie de leur valeur, s’ils n’étaient soumis au contrôle d’une doctrine sévère et qui ne se dément jamais. Dans l’art, dans l’industrie, comme dans les autres formes de l’activité humaine, vouloir créer le présent de toutes pièces sans rien emprunter au passé est une des conceptions les plus déraisonnables qui puissent abuser l’esprit. L’histoire démontre avec une pleine évidence le néant d’un tel projet. Aujourd’hui profite d’hier, demain, profitera d’aujourd’hui. Ce n’est pas là certainement une vérité nouvelle, et pourtant nous devons remercier ceux qui la remettent en lumière, car les sophistes ont pris soin de l’obscurcir. D’ailleurs, en revendiquant les droits de la tradition, l’auteur n’a pas négligé de marquer les temps d’arrêt dans le développement de l’art et de l’industrie. Il ne croit pas au progrès continu, et la raison est pour lui. Dans la recherche du beau et de l’utile, les derniers venus ne sont pas toujours les plus habiles. Le désir d’appeler sur soi l’attention mène souvent au mépris de la simplicité, la bizarrerie prend la place de l’élégance et règne pendant quelques années. Marquer en termes clairs les déviations du goût public, ce n’est pas mettre en doute la réalité, mais la continuité du progrès. Marini, venu après l’Arioste, est un des signes les plus évidens de la dépravation du goût italien ;