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amoureux pour lui demander s’il poursuivrait encore Betty, et chaque réponse affirmative était suivie d’une nouvelle averse. « Pompez encore, mes enfans, » s’écriait le ministre. Enfin, trempé, grelottant et morfondu, le patient échappa à ce supplice en renonçant à sa Betty. Les habitudes de M. Roberson étaient toutes viriles, et sa grande passion était celle des chevaux. À quatre-vingts ans, il prenait encore plaisir à dresser des chevaux indociles, et il était capable de les monter, de les faire manœuvrer pendant une demi-heure et plus. Redouté de ses paroissiens, respecté de ses égaux, il mourut dans un âge très avancé ; mais les paysans qui se souviennent de lui avec terreur le voient encore durant les nuits d’hiver danser, environné de flammes, au milieu de noirs démons.

Il nous semble, en lisant et en rapportant de tels traits de mœurs et de caractère, remuer les ossemens de fossiles humains, car ces caractères, inconnus à notre continent, commencent à s’effacer en Angleterre même, et en auront bientôt disparu peut-être. L’énergie anglaise se transforme ; le fer rugueux, forgé sans art, se change en un acier poli et flexible. L’avenir dira si cette remarquable métamorphose est un bonheur pour l’Angleterre. Elle y gagne en un sens, cela est incontestable ; n’y perdra-t-elle rien ? Quoi qu’il en soit, c’est dans le voisinage de ces caractères, c’est au sein de cette société que Charlotte Brontë a grandi et passé la plus grande partie de sa vie. Ceux qui ont lu ses romans pourront reconnaître que beaucoup d’épisodes sont de simples souvenirs, et comprendront ce que l’intimité avec une nature humaine aussi barbare et aussi excentrique a dû donner à son talent de concentration, d’énergie, de fermeté. L’exubérance de virilité de ses héros, l’admiration qu’elle laisse percer à chaque instant pour la force, ses préférences partiales pour les caractères violens et rudes s’expliquent facilement par l’éducation et les spectacles qui ont frappé ses yeux dès l’enfance, par le milieu dans lequel son intelligence s’est ouverte à la réflexion, et les impressions dans lesquelles son imagination ardente a trouvé sa première nourriture.


II

Si de la société au milieu de laquelle Charlotte Brontë a vécu nous passons au foyer domestique auprès duquel elle a grandi, nous y rencontrerons une haute moralité, une grande énergie, mais toujours l’excentricité et la violence.

M. Patrick Brontë, qui réside encore à Haworth et qui a eu le triste privilège de survivre à toute sa famille, est né en Irlande dans le comté de Down. Son tempérament irlandais et ses habitudes anglaises