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devient, avec un pareil état de choses, l’autorité souveraine du saint père ? Elle s’efface, et n’est plus pour celui qui la représente qu’une sinécure humiliante ; aucun cardinal ne daigne plus aller à Bologne comme légat, et ce poste éminent, jadis envié par tous les princes de l’église, est réduit à un commissariat qu’on donne à quelque prélat subalterne. Au prix de cette mutilation réelle du pouvoir souverain, obtient-on au moins de l’occupation de l’Autriche un bien moral ou des avantages matériels quelconques, remplit-elle une mission civilisatrice, tend-elle à faire avancer progressivement le pays vers un état normal et acceptable ? Non évidemment. Elle ne fait qu’irriter les plaies morales de ces malheureuses populations et qu’épuiser leurs ressources matérielles. Loin de calmer les haines et les ressentimens politiques, elle les envenime et les exaspère. L’opinion publique interdit avec une telle rigueur tout rapport de société entre les autorités autrichiennes, les officiers et les habitans, qu’on serait mal venu d’aller entendre habituellement la musique des régimens impériaux jouant sur les places publiques. Tout service prêté, par adhésion ou par nécessité, aux troupes d’occupation et à leurs chefs est imputé à crime, et ceux qui se sont rendus coupables de ce délit envers l’opinion sont sous le coup d’une sorte d’anathème public qui se traduirait à la première occasion en cruelles vengeances. Qu’une circonstance grave, qu’une guerre soudaine, oblige l’Autriche à retirer ses troupes et à se concentrer en Lombardie, l’autorité temporelle du saint père courra des dangers que l’occupation autrichienne, bien loin de les prévenir, aura rendus irrésistibles. Les effets matériels de ce triste état de choses ne sont pas moins déplorables. L’occupation impose des dépenses locales énormes qui enlèvent aux municipalités le moyen de faire aucune amélioration d’édilité ou de salubrité, de soulager la misère publique, de porter secours aux établissemens d’instruction ou de bienfaisance. Jamais la sûreté individuelle n’a été moins protégée, jamais le brigandage ne s’est produit d’une manière plus audacieuse dans les campagnes et sur les routes. Aucun propriétaire n’ose habiter sa campagne isolée. Le paysan vient en aide aux sicaires sous la menace de l’incendie de sa ferme, de sa moisson. Le désarmement général des habitans devient une prime d’assurance pour les assassins, les voleurs, les incendiaires. Et tout cela se passe en présence d’une armée étrangère d’occupation, venue pour assurer l’indépendance du souverain et la sûreté des citoyens ! » Voilà le sombre tableau que trace la Rivista des effets de l’occupation autrichienne. L’écrivain piémontais appuie ces faits d’un témoignage considérable, les manifestations récentes des conseils municipaux de Bologne et de Ravenne. Ces corporations locales, dont les membres sont nommés par le gouvernement papal, lequel ne les choisit assurément point parmi les esprits exaltés et les ardens novateurs, ont demandé la cessation de l’occupation autrichienne, en réclamant contre les dépenses insupportables qu’elle occasionne.

Quel sera le terme d’une situation déjà si compromise ? L’écrivain de la Rivista n’en indique aucun, et semble condamner à l’impuissance les déclarations prononcées au congrès de Paris par les ministres de France et d’Angleterre. Il croit que les tentatives de 1856 auront le sort de celles de 1831, et viendront échouer contre la procrastination ordinaire de la cour de