Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/367

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
363
MAURICE DE TREUIL.

et honnête qui lui épargnerait les frais de maîtres de langue, de musique et de dessin. Quant à Mme Sorbier, ajoutait-il, elle a l’égoïsme franc ; elle se méfie de la compassion qui lui assure un bénéfice momentané et qui la menace d’une dépense à venir. M. Sorbier rabote, Mme Sorbier casse.

Mme Sorbier avait choisi le jour même de la signature du contrat de Sophie pour faire à Laure les propositions imaginées par M. Sorbier. Une heure avant l’arrivée du notaire et des invités, elle la fit appeler et s’enferma seule avec elle dans sa chambre.

— Asseyez-vous là, mon enfant, lui dit-elle en lui désignant un fauteuil ; je vous ai fait venir pour vous parler d’un projet qui intéresse votre avenir.

— Parlez, madame, je vous écoute, bien assurée que je n’aurai qu’à vous remercier d’avoir pensé à moi.

— Vous voilà seule à un âge qui a besoin de protection, mon appui vous est assuré, mais il est un moyen de le rendre plus efficace.

Laure s’inclina sans répondre. Elle n’avait jamais beaucoup aimé Mme Sorbier, et cet empressement à lui venir en aide lui paraissait suspect.

— M. de Treuil, qui vous aime sincèrement, reprit Mme Sorbier, voulait, à la première nouvelle du malheur qui vous a frappé, vous prendre chez lui, c’est-à-dire chez nous.

— Je sais que M. de Treuil est bon, dit Laure, dont le cœur battait à coups pressés.

— Mais il ne convient pas dans votre intérêt qu’une si jeune et si charmante personne demeure auprès d’un jeune ménage avec lequel elle n’a d’ailleurs aucun lien de parenté.

— Cette faveur, je ne l’avais pas sollicitée, madame, reprit Laure.

— Je le sais, mon enfant, je le sais ; aussi, en lui faisant comprendre l’impossibilité de ce projet, étais-je convaincue que j’allais au-devant de vos désirs. Cependant ma fille, qui a pour vous une amitié véritable, regrettait de ne pouvoir vous garder auprès d’elle.

— C’est un regret que je partage ; mais je n’ai jamais pensé qu’il en pût être autrement.

— Et voilà justement ce qui vous trompe, ma chère Laure ; j’ai trouvé un moyen qui satisfait à la fois l’intérêt que vous nous inspirez et les exigences du monde.

Mme Sorbier s’arrêta comme pour jouir de l’effet de cette ouverture. Laure resta muette : cette bienveillance affectée dont Mme Sorbier étalait les témoignages lui faisait mal et l’humiliait. Elle y sentait l’aumône et n’y voyait pas la charité.

— Ce qui vous manque pour vivre sous le même toit que ma fille et mon gendre, poursuivit Mme Sorbier, c’est une qualité qui impli-