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nourrissent de sa chair avec avidité. Pendant l’ouvrage du dépècement, il est extrêmement curieux de voir l’activité qui règne au tour de cet immense cadavre. La taille des baleines a pourtant été exagérée ; Quelques anciens naturalistes parlent de certains cétacés qui auraient été vus dans les mers du Nord, et qui avaient neuf cents pieds de longueur. D’autres, plus raisonnables, donnent à cet animal une étendue de cent cinquante à deux cents pieds. On n’en trouve plus aujourd’hui de semblables. Il se peut que la race des grandes baleines ait été détruite, ou que l’homme, en tuant sans cesse ces animaux, ne leur laisse plus aujourd’hui le temps de se développer. Je crois pourtant que la taille des baleines n’a point varié. Il est plus raisonnable de supposer que, dans les anciens temps, nos ancêtres, envisageant avec une superstitieuse terreur ces géans des mers, ont encore exagéré la grandeur et la puissance de leur ennemi. Aujourd’hui les plus fortes baleines sont de soixante à soixante-dix pieds. C’est déjà une belle surface à attaquer. Cinq hommes qui travaillent avec ardeur peuvent préparer jusqu’à trois tonnes de lard par heure. Ce lard est destiné à être converti en huile. Une baleine peut donner de vingt à trente tonnes d’huile qui sert généralement pour l’éclairage et pour d’autres usages industriels. Les Esquimaux la boivent avec délectation. La chair des jeunes baleines est mangeable, et ressemble à du bœuf, seulement un peu dur. Les marins, surtout dans les temps de détresse, ne dédaignent point cette nourriture. J’ai même connu de vieux loups de mer qui, retirés du métier et au milieu de toutes les délicatesses de la civilisation, regrettaient le beefsteak de baleine. Un des produits de l’animal les plus fructueux après l’huile, ce sont les fanons. On appelle ainsi une rangée de lames, au nombre d’environ trois cents sur chaque côté de la tête, qui remplacent les dents, dont l’animal est dépourvu. Les fanons jouent un grand rôle dans le commerce, où ils portent généralement le nom de baleines. Vous connaissez l’usage de cette substance ferme et flexible, si chère à la coquetterie des femmes. L’importance d’une telle branche de commerce a même diminué depuis que la mode a introduit certaines réformes dans les ajustemens[1] ; elle est pourtant encore considérable. On sépare les fanons de la mâchoire de l’animal, et après les avoir nettoyés, on les lie par bottes de soixante lames dans une des chaloupes.

Le dépècement se fait maintenant à bord ; il se pratiquait autrefois dans une des stations de la pêche. Il n’est guère de bon baleinier

  1. Cet objet de commerce était autrefois si estimé, que les baleiniers néerlandais le vendaient aux Anglais 700 livres sterling par tonne. On calcule que, dans les beaux temps de la pêche, les Hollandais recueillirent d’un tel trafic au moins 100,000 livres sterling chaque année.