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de cent barils d’huile. La chasse de la baleine ne se maintint pourtant pas longtemps à ce degré inouï de prospérité. De plus en plus effrayées et voyant que leur empire était décidément détruit dans ces mers, où, avant l’arrivée de l’homme, elles ne comptaient guère d’ennemis sérieux, les baleines se retranchèrent derrière les glaces comme derrière un rempart qui leur était donné par la nature. C’est la qu’il fallut bientôt les poursuivre à travers des dangers et avec des dépenses considérables. La baleine passa, vers 1719, des mers voisines du Spitzberg au détroit de Davis. Sur ce nouveau théâtre, les profits matériels, bien que considérables encore, furent souvent balancés par des pertes énormes. Il y avait des années où l’on était obligé d’abandonner jusqu’à vingt navires dans les glaces. Malgré ces désastres et ces chances défavorables, la Néerlande retira de cette pêche des avantages certains. Les régions polaires furent pour les Pays-Bas, à la fin du XVIe siècle et pendant la première moitié du XVIIe une Californie perdue dans les neiges. L’huile de baleine coulait à flots d’or, suivant l’expression d’un poète néerlandais, sur les destinées de la république[1]. Cependant cette pêche historique touchait, avec la république elle-même, à une époque de décadence. Elle se maintint, quoique fort réduite, jusqu’en 1795, époque à laquelle les troubles politiques et plus tard surtout les guerres de l’empire, en fermant les mers, l’anéantirent tout à fait. En 1815, lorsque la paix de l’Europe fut rétablie, le gouvernement des Pays-Bas proposa une prime d’encouragement pour relever la pêche de la baleine. Chaque vaisseau hollandais équipé pour cette pêche devait recevoir une somme de 4,000 florins à son départ durant les trois premiers voyages, et 5,000 florins de plus s’il retournait à vide. Ce système de protection fut impuissant et ne ressuscita qu’à demi l’ardeur des baleiniers néerlandais[2].

  1. La statistique justifie jusqu’à un certain point par des chiffres ce langage de la poésie. De 1669 à 1778, les dépenses pour la pêche de la baleine montèrent à 177,893,970 fl. : le produit de cette pêche, dans le même intervalle de temps, s’éleva à 222,186,770 florins ; il restait donc entre les mains des baleiniers un bénéfice de 44,298,800 florins. Ces chiffres répondent suffisamment aux Hollandais qui, pour se consoler sans doute du déclin d’une industrie si fameuse et si nationale, prétendent aujourd’hui que la pêche de la baleine n’a jamais donné de grands résultats.
  2. Le déclin de la pêche de la baleine peut être fixé à l’année 1770 ; de 1769 à 1778, le nombre des bâtimens, qui était de 182 par année, fat réduit à 134 ; durant la guerre de la Grande-Bretagne avec l’Amérique, ce nombre tomba à 60 ou 70. Il est douloureux de comparer les faits actuels à cette ancienne situation des choses. Trois sociétés établies en 1815 s’occupèrent de la pêche de la baleine et du chien marin : en 1826 déjà, la première de ces sociétés était en dissolution. En 1853, trois vaisseaux seulement visitèrent les côtes du Groenland. La pêche fut heureuse, car 13,500 peaux de chiens marins et 1,678 barils de lard furent rapportés dans la ville de Harlingen, — 6,500 peaux de chiens marins et 320 barils de lard dans la ville de Purmerende. Ce succès partiel n’encouragea pourtant pas le zèle des armateurs, car l’année suivante il ne sortit que deux vaisseaux de Purmerende, et un seul de Harlingen.